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Mesdames, Messieurs les membres du gouvernement, allons faire le marché ensemble

par Abderrahmane Mebtoul

« En Algérie, il n'y a pas de pauvres » le ministre des Affaires religieuses « En Algérie, il n'y a pas de pauvres mais des nécessiteux »  le ministre de la Solidarité nationale Ma femme se plaint depuis le début du mois sacré du ramadan, que notre budget est insuffisant. Je lui ai dit au début d'attendre car, selon les ministres du Commerce et celui de la Solidarité épaulés et certaines associations gravitant au niveau des sphères du pouvoir, il y aura une maîtrise des prix au bout de 7 jours et que ces prix, je les cite, « vont baisser d'environ 30 % ».

 C'est de l'affirmative. J'ai donc décidé d'aller faire le marché au bout du douzième jour du Ramadan, et j'invite Mesdames et Messieurs les Membres du gouvernement de me suivre.

A) LES PRIX

AU 1er SEPTEMBRE 2009

1.- Prix légumes (en kg)

- Salade verte 100 dinars

- Concombre 60/80 dinars

- Courgette 100 dinars

- Tomate 80 dinars

- Carotte 30/40 dinars

- Navet 100 dinars

- Haricots verts 120 dinars

- Poivron vert 50 dinars

2.- Prix des fruits (en kg)

- Melon 30/40 dinars

- Raisin 120/200 dinars

- Pêche 200/220 dinars

- Poire 140/200 dinars

- Datte 350/450 dinars

3- Viande (en kg)

- Agneau 900 dinars

- Boeuf tendre 1.000 dinars

- Foie 1.500 dinars

- Poulet 340/360 dinars

- Boeuf congelé 440 dinars

- Oeuf 12 dinars (l'unité)

4- Poisson (kg)

- Crevette royale au port en gros                1.800 dinars et détail 2.200 dinars

- Merlan en colère 1.500 dinars

- Sardine 100 dinars.

 Pour l'huile de table, le prix varie d'un commerçant à un autre : il était pour le litre à 110 dinar au début du Ramadan, puis dans bon nombre de cas il est revenu à 120 dinars comme d'habitude.

5.- Frais de la rentrée

scolaire

 Dans la foulée et avec la rentrée scolaire j'ai pris le soin de demander le prix d'un tablier et cartable moyen, prix pour le premier entre 1.600/2.000 dinars (de meilleure qualité 2.300/2.500 dinars) et le cartable entre 1.800 et 2.000 dinars (et meilleure qualité entre 2.500/3.500 dinars) sans compter d'autres frais comme les livres, les cahiers, les stylos et des habits neufs et chaussures.

6 - Frais de l'Aïd

 Le petit mouton très moyen varie entre 15.000 et 20.000 dinars

Le constat est donc amer, pour les petites bourses, en l'absence de mécanismes de régulation et de contrôle, les prix des produits de large consommation connaissent, comme de coutume, notamment à la veille de chaque mois de Ramadan, des fêtes religieuses ainsi qu'à l'approche des rentrées sociales, des augmentations sans précédent, les discours gouvernementaux et les organisations censés sensibiliser les commerçants ayant peu d'impacts, prêchant dans le désert, les lois économiques étant insensibles aux slogans politiques.

 

FACE AUX DISCOURS PATERNALISTES, LA REALITE DU POUVOIR D'ACHAT DES ALGERIENS

2.1- Quelle est la répartition du revenu national ?

 Le gouvernement n'a jamais voulu faire une enquête précise, pour des raisons politiques qui contrediraient ses discours, relative à la répartition par couches sociales du revenu national, se contentant de donner un agrégat global d'amélioration du revenu de 31 % entre 2000/2008, selon le ministre du Travail, ayant une signification limitée. Se pose la question sur la validité d'une ancienne enquête internationale où, selon les estimations des programmes des Nations unies pour le développement et de la Banque mondiale, le taux des personnes qui vivent sous le seuil de la pauvreté en Algérie, qui gagnent moins de deux dollars par jour, serait estimé à plus de 20 % de l'ensemble des habitants, les employés touchant des salaires variant entre 12 et 35 mille dinars constituerait plus de 60 % de la masse salariale, alors que les employés dont les salaires entre 100 et 300 mille dinars constitueraient de 10 % de cette dernière et donc que 2,8 % des revenus de l'Algérie sont répartis sur 10 % des classes les plus démunies de l'Algérie, alors que 20 % des catégories les plus riches bénéficieraient de 42,6 % de la fortune et des revenus et, fait nouveau, une partie de la classe moyenne commence à disparaître graduellement et à rejoindre la classe pauvre. Les tensions sociales sont atténuées artificiellement grâce aux recettes des hydrocarbures qui permettent des subventions pour la farine, la semoule et le lait et une somme colossale des transferts sociaux représentant plus de 10 % du PIB (plus de 10 milliards de dollars 2007/2008) mais mal gérés et mal ciblés qui ne profitent pas toujours aux plus démunis. Ces tensions sociales de plus en plus criardes avec l'individualisation sont également atténuées par la crise du logement qui renforce la solidarité familiale (même marmite, mêmes charges), l'emprise de la sphère informelle qui sert de soupape de sécurité ainsi que les emplois rentes, assurant une paix sociale fictive transitoire grâce à la rente des hydrocarbures. Mais en cas de chute des cours du pétrole, qu'adviendra-t-il avec son épuisement prévu entre 16 ans (rapport AIE), 25 ans selon le Ministre Ahmed Ouyahia c'est-à-dire demain ? Ce qui fait dire à de plus en plus d'observateurs nationaux et internationaux, qu'il faille éviter de brandir ces chiffres de réserves de change annoncés pompeusement comme s'ils provenaient du travail et de l'intelligence face à cette misère humaine et une population de plus en plus désemparée.

2.2-. Les deux témoignages les plus frappants du Gouvernement confirmant la détérioration sociale

- Premier témoignage l'inflation.

 Les dernières données de l'Office national des statistiques (ONS 01 septembre 2009) montrant clairement que la hausse de l'inflation en Algérie aurait atteint 5,4% durant les sept premiers mois de l'année en cours ayant touché notamment, les oeufs (30,3 %), les poissons frais (25,7 %), la viande de mouton (22,3 %) et les légumes frais (26,1 %), la viande blanche (poulet) avec 15,4 %, la viande de boeuf (13,3 %), les sucres et produits sucrés (9,5 %), les fruits frais (7,7 %) et la pomme de terre (6,3 %). Pour rappel, selon le gouvernement, le taux d'inflation a été de 1,6 % en 2005, 3 % en 2006, à 3,5 % en 2007 et 4,5 % en 2008, mais selon un document important relatif à une étude sur l'Afrique du Nord et le Moyen-Orient, du Centre de recherche américain, Casey Research, en date du 6 mars 2008, le taux d'inflation en Algérie serait 12 % en 2007/2008 et supérieur pour l'année 2009 selon cette étude, contre une moyenne de 7/8 % au niveau de la région Mena. Car le besoin est historiquement daté et doit tenir compte de la structuration sociale, les ménages algériens ne mangeant pas des chiffres erronés mais étant confrontés à la dure réalité quotidienne.



Deuxième témoignage le nombre de couffins du Ramadan

 Cela contredit les déclarations officielles dans la mesure où le nombre de restaurants de la Rahma entre 2008/2009 passent de 450 à 655 et que, selon les chiffres du ministre de la Solidarité, quelque 3 milliards de DA ont été consacrés aux familles démunies. Je cite le Ministre fin août 2009 « 1.775.000 couffins et 6.300.000 repas seront distribués » les Assemblées populaires communales participant à cette opération de solidarité à hauteur de 66 % du montant global, soit 2 milliards de dinars environ. Bien qu'une enquête menée par ce département courant 2009 a permis de mettre en relief 70.000 bénéficiaires illégaux, cela concerne, selon le même Ministère, un fichier officiel composé de 150.000 familles possédant la carte de démuni, 700.000 autres familles inscrites sur les listes du filet social, ainsi que plus de 150.000 handicapés.



LES RAISONS DU PROCESSUS INFLATIONNISTE

 On ne peut invoquer, pour expliquer l'inflation et par là la détérioration du pouvoir d'achat de la majorité des Algériens, uniquement les effets des augmentations au niveau de la Fonction publique en 2008 (le montant étant estimé à environ 170 milliards de dinars annuellement, soit environ 1,8 milliard d'euros, somme dérisoire), la baisse du cours du pétrole, pour preuve, le cours du pétrole a atteint un cours entre 110/140 dollars les salaires ayant stagné et l'inflation relativement maîtrisée. Comme il est faux d'imputer cette hausse des prix à l'extérieur où nous assistons à la déflation. Se pose la question face à la déflation (baisse des prix au niveau mondial) qui a eu des répercussions sur la baisse du niveau des importations algériennes mais pas sur les prix des consommateurs. Pourquoi le consommateur algérien n'en bénéfice pas ? La raison essentielle de la non répercussion de cette baisse des prix au niveau mondial est que la banque centrale d'Algérie a dévalué simultanément (et c'est un paradoxe puisque la cotation de ces monnaies n'évolue pas dans le même sens) le dinar par rapport à la fois au dollar et à l'euro. Comme il serait suicidaire de vouloir doubler les salaires pour des raisons populistes ce qui entraînerait une hyperinflation non maîtrisable du fait de la mauvaise gouvernance. En fait, la raison fondamentale du processus inflationniste en Algérie trouve son fondement dans le mode d'accumulation biaisé, l'Algérie risquant de revenir à la case départ si l'on a cette vision du passé où n'existe pas de proportionnalité entre la dépense publique et les impacts économiques et sociaux des 200 milliards de dollars dégagés entre 2004/2009 et qu'en sera-t-il des nouvelles dépenses entre 2009/2013 ? Et surtout, si l'on continue dans cette voie hasardeuse de l'assainissement répété des entreprises publiques, plus de 40 milliards de dollars US entre 1991/2008 couplé avec l'inefficacité des dépenses publiques conséquence d'un manque de cohérence et de visibilité dans la politique économique et sociale, avec la corruption socialisée qui engendre une démobilisation générale se répercutant sur la productivité globale. Ce processus inflationniste est amplifié par l'emprise de la sphère informelle, produit de la bureaucratie centrale et locale qui entretient des relations diffuses de corruption avec cette sphère (expliquant que les rapports internationaux des trois dernières années 2005/2008 classent l'Algérie à un niveau de corruption élevé), qu'il s'agisse d'intégrer intelligemment, loin des mesures bureaucratiques peu efficaces, contrôlant 40 % de la masse monétaire en circulation avec une intermédiation financière informelle. Tout se traite en cash, alors que la base de l'économie moderne se fonde sur le crédit, et qu'au-delà de 100 dollars, la carte de crédit est souvent exigée. Cette sphère contrôle quatre segments-clefs : celui des fruits et légumes, de la viande, celui du poisson pour les marchandises locales et pour l'importation, le textile - chaussures.



CONCLUSION-URGENCE D'UNE GOUVERNANCE RENOVEE

 Gouverner étant de prévoir, les défis qui attendent l'Algérie sont immenses du fait de l'important retard accusé dans les réformes se réfugiant dans le court terme par des dépenses monétaires colossales, sans se préoccuper de la bonne gestion, assurant une paix sociale fictive, dépenses dues non au travail et à l'intelligence mais grâce à cette ressource non renouvelable que sont les hydrocarbures. Or, 2030 c'est l'Algérie de demain. L'Algérie a déjà 47 années d'indépendance politique. Car depuis 1986, l'Algérie est dans une interminable transition n'étant ni une économie étatisée, ni une véritable économie de marché concurrentielle, expliquant le peu d'efficacité tant de la régulation politique, sociale et économique. Si le processus inflationniste continue à ce rythme entre 2009/2010, cela aura des incidences sur le taux d'intérêt des banques qui devraient le relever au moins de deux à trois points par rapport aux taux d'inflation réel, si elles veulent éviter la faillite. Ou, alors l'Etat devra recourir à nouveau à leur assainissement. Cela freinerait à terme le taux d'investissement utile, la plupart des opérateurs économiques préférant se réfugier soit dans les activités spéculatives à court terme actuellement dominantes. Ce processus inflationniste aura pour conséquence l'accélération du divorce Etat/citoyens accentué par l'effritement du système de la communication gouvernementale (vison paternaliste-bureaucratique du passé alors qu'avec Internet le monde est devenu une maison de verre) où nous assistons à un dialogue de sourd et comment ne pas se rappeler cette image de la télévision algérienne où, à une question sur le taux de chômage, un Ministre affirmera que les enquêtes donnent 11 % et qu'un journaliste lui répliqua : êtes-vous sûr de vos données ? Oui, répond le Ministre. Ce à quoi le journaliste répliqua sous l'oeil amusé de la présentatrice, non convaincue d'ailleurs, qu'il irait faire un tour dans les quartiers Algérie et qu'il dirait aux chômeurs que dorénavant leur appellation n'est plus chômeur mais travailleur. Car, comment avec un taux de croissance avoisinant 2/3 % entre 2006/2008, et certainement identique en 2009, peut-on, afficher un accroissement de l'emploi utile supérieur aux années précédentes (plus de 5 %) inférieur au taux de croissance de la population active estimée à plus de 3,4 %, devant nuancer les déclarations euphoriques loin de la réalité économique, de certains responsables, de taux de croissance hors hydrocarbures dans la mesure où 80 % des segments hors hydrocarbures sont eux-mêmes irrigués par la rente hydrocarbures. Cela contredit les règles élémentaires de l'abc de l'économie. Cela ne fait?il pas rappeler vers la fin des années 1980 et après la grande pénurie que connaissait le pays après la crise de 1986, à l'ENTV où un Ministre algérien avançait avec assurance que le marché était saturé selon les données en sa possession, la présentatrice lui rétorquant s'il a fait un jour le marché et que la population algérienne ne mangeait pas les chiffres. En résumé, n'assiste-t-on pas à ce paradoxe des réserves de change de plus de 144 milliards de dollars fin juillet 2009 et la détérioration du pouvoir d'achat de la majorité avec une concentration excessive au profit d'une minorité rentière.         N'avons-nous pas un pays riche mais une population de plus en plus pauvre montrant clairement que la véritable clef du développement réside en la ressource humaine et l'urgence d'une gouvernance rénovée. Car on ne décrète pas la fixation des prix, la création d'entreprises ou la création d'emplois, ce qui a abouti à des effets pervers. Car il s'agit de ne pas confondre le tout Etat des années 1970 (solution de facilité des bureaucrates en panne d'imagination) avec l'importance de l'Etat régulateur stratégique en économie de marché, mais qui suppose un degré de compétences élevés pour réguler face aux enjeux de la mondialisation, en ce monde en perpétuel mouvement et dont les effets de la crise d'octobre 2008 augure de profonds bouleversements géostratégiques et économiques entre 2015/2020.