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Désagréables sensations de déjà vécu

par Farouk Zahi

JT du dimanche 20 heures de l'an de grâce 198... : le président de la République a exhorté, lors du dernier Conseil des ministres, la partie en charge du secteur du Commerce d'intensifier les contrôles pour mettre un terme à la spéculation.

C'est ainsi que des brigades constituées d'éléments sectoriels sont à pied d'oeuvre. Les cadres du Parti se sont réunis lors d'une conférence animée par un professeur d'université versé dans la chose économique, pour débattre des grands axes de développement. Le ministre des Finances, dans un communiqué de presse, met en garde contre les méfaits de la crise économique mondiale, tout en réitérant ses assurances sur la bonne santé de l'économie nationale. La Loi de finances complémentaire (LFC) de l'exercice budgétaire a déjà pris en compte cette problématique. Le ministère chargé du Tourisme lance un vaste programme de réhabilitation des stations thermales et une étude prospective sur le tourisme saharien. Un groupe de tours opérateurs de divers pays européens est en visite dans l'oasis de Taghit. Interrogés par notre confrère de la station régionale de Béchar, ses membres se disent subjugués par le patrimoine oasien et le potentiel touristique époustouflant de notre pays.

 Dans le cadre de la lutte contre l'habitat précaire, 12 familles de Sidi-F'len viennent de bénéficier de logements décents. Les bénéficiaires, qui gîtaient dans un bidonville de l'époque coloniale, se disent satisfaits de « l'iltifata tayiba » (la louable attention) des pouvoirs publics. Une vieille mémère, interrogée par la caméra, lance en guise de réponse, un youyou éraillé. La production de la pomme de terre, exceptionnelle dans la wilaya de Mascara, et en l'absence d'aires de stockage, a fait envisager aux producteurs, d'entreposer leur production dans des grottes et des pinèdes. Compte tenu de la surproduction, la tomate d'Adrar n'a pas trouvé preneur, mais ceci n'a pas influé sur les cours du marché. Les accidents de la route continuent de faire d'innocentes victimes ; ils résulteraient dans la majorité des cas, de l'inobservance du Code de la route, notamment l'excès de vitesse d'où la perte de contrôle des engins roulants. Le facteur humain est toujours mis en évidence par les enquêtes diligentées à cet effet. L'Etat est décidé à sévir pour mettre un terme à l'hécatombe. La modernisation du réseau ferroviaire à l'ordre du jour du prochain conseil du Gouvernement. A la veille du mois sacré du Ramadan, toutes les dispositions sont prises pour rendre disponibles les produits de première nécessité. (Au fait, y aurait-il des listes nationales de produits de première et de seconde nécessité ?) La régulation du marché des viandes rouge et blanche, assuré par le circuit commercial étatique, se verra renforcée par l'importation de grandes quantités de viande ovine et bovine, de Nouvelle Zélande et d'Argentine. Les points de vente afficheront des prix plafonds à l'effet de barrer la route, en ce mois sacré, à la spéculation qui entame le pouvoir d'achat des ménages. (Est-ce à dire qu'elle serait tolérée en dehors du Ramadan ?). La distribution de l'eau dans les agglomérations d'Alger et d'Oran connaîtra dès la fin du mois (de quel mois s'agit-il ?) une nette amélioration selon les déclarations du département en charge du secteur. Le secteur de la Santé ouvre 35.000 postes à former pour combler le déficit en personnel paramédical tout en affirmant garantir le recrutement. Pour ce faire, des annexes de formation seront fonctionnalisées au niveau des établissements de Santé. La Protection civile fait le bilan de la saison estivale : la majorité des décès par noyade ont eu pour théâtre les plages non surveillées et les grandes retenues (barrages et retenues collinaires). Cette tragédie est due principalement à la canicule exceptionnelle saisonnière et à l'imprudence des estivants ! L'oxyde de carbone continue à faire des victimes en milieu rural : dans leur tentatives de curer un puits agricole, nombreuses sont ces familles endeuillées par le gaz carbonique émanant de motopompes défectueuses.

Cette époque s'est terminée, comme chacun le sait, par un immense « chahut de gamins ». En dehors du couffin du Ramadan, initiative inspirée par Aswak Rahma, l'intrusion impériale de la téléphonie mobile, la Harga et les records de la production agricole jamais atteints, le reste ne semble pas avoir beaucoup changé dans le discours médiatico-télévisuel. Sans beaucoup d'innovation encore moins d'émotion, il débite des milliers de kilomètres de pellicule. Immuable, il semble réglé comme un métronome. S'il est indéniable que le niveau de vie des citoyens s'est nettement amélioré, il n'a pas été suivi de réponses idoines communicatives en rapport pour être apprécié à son juste prix. Le ronronnement semble s'être durablement installé. Les prestataires de services traditionnels, Habitat, Education, Santé, Transport, Collectivités locales, Télécommunication, Eau et Electricité ne semblent pas coller au nouveau profil d'une société en perpétuel mouvement. La dynamique imprimée sur les comportements, par les chaînes satellitaires et la Toile de l'Internet, ont fait que l'ombre devance et de bien loin le corps. Ce phénomène, qui défit les règles optiques bien établies, est en train de se vérifier non pas dans le virtuel, mais dans le vécu quotidien. L'ascendance est irrésistiblement semée par la descendance. Autres temps, autres moeurs. Les flux migratoires vers tous les points de la planète et plus particulièrement vers notre voisin immédiat de l'Est, ne serait-ce que temporairement, font que la comparaison est vite faite. Aussi, le citoyen lambda, ne s'embarrassant plus de voltiges scientistes pour se faire expliquer telle ou telle interface du développement intégré et durable ; il vit le moment. Les prospectives et les promesses non tenues, non pas par malhonnêteté intellectuelle ou toute autre entourloupette, n'échappent plus à sa suspicion et sa circonspection vigilante. Il n'y a, actuellement, pas deux économistes qui s'accordent à dire de quoi sera fait demain. Les récents débats d'experts sur la dernière LFC sont, à ce titre, plus qu'édifiants. Il sait (le citoyen lambda) par contre, que le monde est devenu un immense souk qui appartient à celui qui a le plus de sous. Les réserves énergétiques ne font pas toujours la différence. Et dans ce cas de l'espèce, le mode de gouvernance, sacralisé par la puissance régalienne de l'Etat, ne constitue plus le havre jadis sécurisant de la providence, mais le navire à quitter au plus vite. Chacun tentera de trouver sa bouée de sauvetage qui ira du hors-bord à l'épave en perdition. Espérons que pour cette fois-ci, ça ne se terminera pas par un « chahut d'adultes ». Les petites répliques des fréquents épisodes émeutiers risquent de constituer les prémices, à ne Dieu ne plaise, d'un Big Bang post-octobriste.