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Journalisme et «scoopisme»

par Belkacem Ahcene-Djaballah

Selon un commentaire récent (18 septembre) de l'Agence de presse publique «Algérie Presse Service», le président de la République a exigé de ses ministres « confidentialité » et «discipline» en matière de communication officielle. Ces derniers doivent veiller, particulièrement au respect des décisions prises en Conseil des ministres et aux réunions du gouvernement, les fuites, les fausses et varies rumeurs engendrant d'immenses dégâts sur l'image du pays, pouvant même mettre en cause la crédibilité de l'Etat.

Une telle sortie, qui n'est pas nouvelle, qui demande à chaque fois aux décideurs au « parfum» (aussi bien directement concernés que non) de ne pas succomber aux sirènes médiatiques et de respecter l'obligation de réserve, tout particulièrement lorsqu'il s'agit de décisions aux retombées stratégiques perturbatrices (sur les collaborateurs , les partenaires, la production?), les remaniements et mouvements de personnels de haut niveau (ministres, magistrats, P-dg et DG d'entreprises, ambassadeurs, fonctions sécuritaires?), peut se situer dans ce cadre. Ici, il ne s'agit pas d'étouffer complètement l'information, mais seulement de la laisser arriver au moment T, c'est-à-dire celui où elle est officiellement annoncée, soit par un porte-parole lors d'un point de presse, soit par la doyenne (et canal traditionnel pour ne pas dire historique) des médias nationaux, l'Agence de presse publique.

A ce moment-ci, le commentaire de presse et public (pour ou contre) est libre. L'appel sera-t-il entendu? J'en doute un peu, sachant par expérience, qu'il n'y a de pire sourd que celui qui ne veut entendre, les mauvaises habitudes acquises - fruit de moult manipulations ayant totalement «chamboulé» le paysage, détourné les usages et contourné les circuits médiatiques classiques, depuis le début des années 2000-s'étant si bien ancrées qu'elles se sont transformées , avec le temps, en véritable «nature», donnant à la pratique journalistique du «scoopisme», au sein des rédactions, la priorité. J'en doute un peu, sachant qu'un appel similaire avait été lancé fin décembre 2020.

Hélas, la course au «scoop» et à l'information dite sensationnelle va perdurer aussi bien au niveau des réseaux sociaux qu'à ceux des médias classiques (privés) et des sites électroniques d'information. Une raison assez simple: la surpopulation médiatique (écrite et audiovisuelle) souvent en dehors de toute réglementation (ou de son inapplication lorsque celle-ci existe), la contraction sévère des marchés publicitaires et des lectorats amenuisant les bourses patronales et la montée en flèche des coûts de production qui ont engendré chez les « boss » jusqu'ici habitués - bien souvent par le système lui-même, à travers ses appareils - à une aisance économique certaine car quasi-rentière et par contrecoup, chez les journalistes et autres employés, des pratiques plus « commerçantes » que commerciales, peu ou pas entrepreneuriales et faiblement professionnelles. Tous les coups sont alors admis et même encouragés! Ce n?est pas tout ! Car, il y a (il y eut ?), aussi, une République qui, à travers ses cadres, n'arrive pas ou plus à protéger la confidentialité de ses opérations et décisions stratégiques et à devancer les annonces officielles par une communication institutionnelle agressive.

Une lacune qui favorise de ce fait, involontairement (?!), les fuites et les spéculations qui s'en iront semer, donc, la confusion au sein des opinions publiques. L'existence de «taupes» malfaisantes ou rancunières en lien avec l'extérieur ne fait que rendre plus complexe la problématique.

Que faire? On l'a déjà dit et répété. Revenir aux fondamentaux que sont, en matière de com', la célérité, la transparence dans la gestion des contenus (par la centralisation de l'information étatique), en osant parfois, sinon toujours, publier dans les organes du secteur public, l'info contradictoire et d'opposition ou de contestation, l'exactitude des faits. Et revoir, en profondeur, la formation des journalistes et des communicants, en la rendant plus en phase avec les exercices effectifs des professions et pousser à une recherche scientifique (si elle doit exister à ces niveaux) plus critique du terrain national d'abord et avant tout et ce, afin de découvrir, scientifiquement et non plus seulement politiquement, les failles de notre système national d'information et de communication, les forces et faiblesses de ses acteurs et l'(in-) efficacité de ses usages.