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Lettre dans un ballon !

par El-Houari Dilmi

Le «gros mot» de «chikour» signifie quant à son origine étymologique «chef de cour», anciennement utilisé par l'administration coloniale pour désigner le chef des prisonniers ou le prévôt. Avec le temps, un glissement sémantique a donné à ce mot une connotation péjorative que tout le monde aura devinée. Mais pourquoi parler de «chikour» ? Pour fêter son but contre la Guinée vendredi soir, le meilleur buteur de l'histoire des Verts, Super Slim pour les intimes, a usé de ce «juron» pour adresser un message que tout le monde aura décrypté. Parce que plus que toutes les religions, le football serait-il le nouvel opium des peuples qu'il adoucirait les mœurs bien mieux que la «chose politique», cette science «occulte» qui se joue du destin des autres par procuration détournée.

Tenant de la morale improbable d'une bouteille jetée à la mer, c'est l'histoire tout aussi vaporeuse d'une lettre écrite à l'encre sans tain, retrouvée dans un ballon crevé. Voici son contenu à une syllabe près : «Vous peuple de ma chère et footeuse patrie, vous qui êtes dans l'air du temps avec un beau pays et un aussi joli drapeau qui vous montent la tête jusqu'à vous rendre gorge, je vous appelle à ne pas cacher votre grosse tête dans un ballon en cuir recyclé, et laisser tout votre corps sans défense exposé aux quatre vents. Mais comme vous le savez sans doute, un ballon est généralement rempli d'air, ce qui suppose que vous courez après le vent, et donc, de tourner encore et toujours en rond, jusqu'au tournis total. La girouette ne pouvant à elle seule justifier l'existence du vent, le ballon ne peut lui non plus, dans sa triviale rotondité, jouer au cache-misère éternel.

Le match opposant le pays à ses propres démons ayant commencé il y a plus de 60 ans sans risquer de prendre fin un jour qui ne viendra peut-être pas, le divorce d'avec son destin confisqué ne peut guérir à l'ombre d'une vie sans but. Mais comme un rêve, aussi fou soit-il, est souvent plus appétissant qu'un morceau de pain sec, le peuple, même avec le ventre creux, peut bien hurler de plaisir de voir un ballon atteindre enfin son but plutôt que suivre du regard un pays toujours à se protéger contre les balles tirées par sa propre main. Certain de votre foi inébranlable dans les dieux du football et en vos surprises à venir qui ne manqueront pas de vous boulonner jusqu'à vos têtes trop rondes, croyez, cher peuple footeux, en mes glapissantes salutations».