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Voies insondables

par Abdelkrim Zerzouri

Le plafonnement du prix du gaz revient ces derniers temps tel un leitmotiv dans les bouches des responsables de pays européens. Le dernier en date à aborder ce sujet n'est autre que l'ancien patron de la société italienne ENI, Paolo Scaroni, qui a déclaré dans une interview au groupe italien GEA qu'il est «possible de plafonner le prix du gaz algérien». Tant de présidents et de responsables au sein de l'Union européenne l'ont devancé sur ce registre, mais aucun d'entre eux n'est allé jusqu'à dire que c'est possible de plafonner les prix du gaz. On a discuté de ce plafonnement au sein de l'UE, on a envisagé des achats groupés de gaz pour influer sur les prix, mais sans jamais avoir cette assurance de l'ancien DG de la société, versé aujourd'hui dans l'industrie du football.

Comment est-il possible de plafonner le prix du gaz ? Selon Scaroni, le gaz sur lequel l'Italie peut fixer un prix plafond est celui qui arrive par quatre (4) gazoducs, ceux de la Norvège, de l'Algérie, de la Libye et de l'Azerbaïdjan. Parce que ces pays ne peuvent vendre du gaz que pour le continent européen. «A qui vendraient-ils leur gaz si l'Europe ne l'achète pas ?», laisse entendre en filigrane Scaroni. En d'autres termes, ces quatre pays seront obligés de plafonner le prix du gaz livré à leur seul client l'Europe sinon ils ne trouveraient pas acheteur. Si c'est ainsi, pourquoi alors les prix du gaz ont enregistré une flambée inédite sur le marché mondial ? L'Europe n'avait pas du tout besoin de penser au plafonnement du prix du gaz quand la Russie inondait l'Europe en gaz à des prix impossibles à concurrencer par les quatre pays en question. C'était un temps où ces pays gardaient une grande partie de leur production en gaz pour la consommation interne ou la vendaient au rabais, à cause des prix relativement bas pratiqués par la Russie. Ce dernier pays ne voulait pas d'une Opep du gaz, tellement le marché européen lui appartenait de fait.

Les choses ont changé, et aujourd'hui l'Europe se détourne de son ancien ravitailleur en gaz, lorgnant de nouvelles pistes pour s'approvisionner auprès de ces mêmes pays qu'ils ont ignoré à un certain degré quand la Russie était là pour leur assurer tout le gaz dont ils avaient besoin. Ce que Sacroni a oublié c'est que l'Europe ne s'est pas tournée vers le gaz algérien, libyen et azerbaïdjanais pour faire plaisir à ces pays, mais bien dans la contrainte. Mais, il faut bien croire que Scaroni, qui a toujours milité pour un prix du gaz au rabais, en temps de guerre ou de paix, a quelque part ses secrets.

En 2013, quand il était à la tête d'ENI, il a menacé de recourir à une procédure d'arbitrage international contre la Sonatrach et les Russes de Gazprom face à leur refus de revoir à la baisse les prix du gaz vendu au groupe italien. Mais, si on peut comprendre qu'il y a près de dix ans, il ne faisait que défendre sa société, que pourrait-il gagner aujourd'hui qu'il est loin de cette responsabilité en militant pour un plafonnement du prix du gaz ? En Italie, la bataille est rude pour trouver un successeur à l'ex-Premier ministre, Mario Draghi, et la politique prend souvent des voies insondables.