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Le vieux de mon village

par Kamal Guerroua

«Quand je fais du bien aux autres, dit un vieux de mon village, c'est comme si je sème du sel. J'attends en vain que les bourgeons fleurissent sur un arbre mort ». Avoir la main sur le cœur ne nous exonère guère de déceptions en retour. Faut-il être égoïste pour autant ? Faut-il s'occuper de son propre nombril et croire que le monde se résume à sa petite pomme? Faut-il fermer les portes de la générosité, de la solidarité et de la quête du bien commun ? Pas facile! Mais par les temps qui courent, l'égoïsme est devenu partout une marque de fabrique pour des opportunistes de tous bords. Et par-delà cet égoïsme-là, une autre maladie (parce que, dans ma conception des choses l'égoïsme déjà en est une) s'agrège comme un kyste au corps l'égocentrisme, comprendre par là, le fait de vouloir tout des autres, sans rien leur concéder en contrepartie. De ma part, j'aurais préféré, dans le pire des cas, être plutôt un égoïste actif qu'un égocentriste passif. Autrement dit, autant s'intéresser à soi pour ne pas être un fardeau sur le dos des autres que d'attendre tout des autres et leur tourner le dos, une fois nos intérêts satisfaits.

Etre égoïste n'est pas en soi un mal pourvu qu'il ne soit pas au détriment de ceux avec qui l'on vit. Je pourrais refuser, par exemple, de l'aide à quelqu'un quand j'estime que cela peut nuire à mes propres intérêts ou que cela allait prendre sur le temps que je réserve à mes travaux personnels. Mais ce qui est logique à mes yeux peut paraître un peu égoïste au regard des autres.

La nuance a un nom : la compréhension. Si la personne dans le besoin comprend que je suis aussi dans une situation peu enviable et que, par ricochet, il m'est impossible de lui venir en aide, cela rendra moins pénible la charge de la (sa) déception. Dans le cas contraire, ce sera une catastrophe émotionnelle.

Il est inutile de jouer le généreux quand on est à l'étroit, dans la dèche ou pris par d'autres préoccupations qui s'avèrent plus urgentes.

La générosité n'a d'autre équivalent que le sacrifice et le sacrifice n'a qu'un seul nom : amour. Si on aime quelqu'un, une chose, une activité, un métier, on est prêt au sacrifice.

Mais à quel prix ? Et puis, l'amour n'est pas forcément le contraire de l'égoïsme dans la mesure où ce dernier nous force à nous aimer d'abord, avant d'aimer les autres (ce qui est un signe de lucidité).

S'aimer n'est-il pas le départ de l'amour d'autrui ? Le vieux de mon village dit-il vrai ou a-t-il donc tort ? Au mieux, il est visionnaire, au pire, il est égoïste...