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Le fond et la forme

par Abdelkrim Zerzouri

A-t-on inventé l'humanisme à géométrie variable dans les pays chantres des droits de l'homme ou sommes-nous assez crédules pour croire que ce noble sentiment est invariable au-delà des races, des religions et de la couleur de la peau ? L'Union européenne (UE) fait face ces derniers jours à une vague de critiques acerbes de la part des organisations non gouvernementales (ONG) et autre organisme humanitaire onusien, qui ont dénoncé la politique des « deux poids deux mesures » en matière d'accueil des réfugiés dans les pays européens. Il ne s'agit pas seulement de ces étudiants africains qui subissent l'humiliant et inhumain tri sélectif aux frontières ukrainiennes encombrées par des centaines de milliers de personnes fuyant la guerre, mais d'une politique d'Etats, humanitaire, dit-on, mise en œuvre pour accueillir exclusivement les Ukrainiens.

Plus de quatre millions d'Ukrainiens accueillis par les pays frontaliers, avant de prendre d'autres destinations vers la France, l'Angleterre, l'Allemagne et d'autres pays membres de l'UE, où ils sont totalement pris en charge. Tout se passe rapidement, sans aucun problème logistique ou financier. Cela a rappelé aux mémoires encore fraîches les images de quelques centaines de personnes bloquées en plein hiver dans les forêts aux frontières entre la Biélorussie et les pays frontaliers membres de l'UE. Cela a rappelé également la fermeture de ces mêmes frontières devant les Afghans qui voulaient fuir le régime des talibans qui a récemment pris le pouvoir en Afghanistan. Et les Syriens qui fuyaient la guerre civile dans leur pays, ils ont bien été accueillis par des pays européens, non ? C'est l'argument que tentent de mettre en avant des responsables de l'UE, pour expliquer qu'il n'y a pas de politique « de deux poids deux mesures ».

Hier, c'étaient les Syriens, aujourd'hui c'est au tour des Ukrainiens de trouver refuge en Europe. Ce qu'on ne dit pas, c'est que pour les Syriens, l'accueil n'a pas été aussi rapide et aussi facilité qu'il ne l'est pour les Ukrainiens, qui bénéficient de la gratuité de transport, de logements, collectes d'aides, scolarisation des enfants, et même le droit de séjour et permis de travail. Alors que les pays qui ont ouvert leurs portes aux Syriens, comme l'Allemagne, ont subi les pires critiques à l'intérieur et à l'extérieur. Et, on ne parle pas de ces centaines de migrants clandestins qui traversent chaque année la Méditerranée, pour mourir noyés ou vivre dans les pires conditions de la clandestinité s'ils arrivent sains et saufs au bout de leur aventure.

La discrimination est claire, le traitement réservé aux migrants européens n'est pas le même que celui adopté avec les migrants musulmans et les Africains. On ne peut pas changer le monde ? Mais, peut-être que la question ne se pose pas en termes purement humanitaires, mais comme un devoir qui découle d'un engagement absolu dans le conflit ukrainien. Les Occidentaux ne sont-ils pas dans le fond obligés de soutenir les Ukrainiens par un calcul purement géostratégique, sous une forme humanitaire, afin d'éviter à l'Ukraine un effondrement rapide face aux attaques russes ? L'accueil des réfugiés ukrainiens devient, ainsi, un effort de guerre des Occidentaux accompli dans le même esprit des sanctions économiques contre la Russie et du soutien militaire fourni à l'Ukraine pour résister face à l'armée russe.