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Paroles de Nacer Khemir

par Amine Bouali

Quelques paroles de l'écrivain et réalisateur tunisien Nacer Khemir enregistrées il y a quelques années pendant le débat qui a suivi la projection d'un de ses films. «Il y a une amitié des choses qui entourent l'artiste dans son travail. Au cinéma, quand je choisis un objet ou une couleur, je mets du temps pour les sélectionner. Dès qu'une chose est belle, elle est chargée d'amitié et devient hospitalière. Et cette hospitalité, nous la retrouvons dans le récit et dans le conte.

Ce n'est pas pour rien que pour apaiser la solitude, la peur, la faim, les gens d'avant prenaient le temps de raconter des histoires. J'ai décidé que le cinéma serait le lieu où la beauté serait maîtresse. Je ne penserai jamais à introduire un assassinat ou un viol dans mes films. J'ai envie d'y faire passer des aspects non perceptibles autour de nous, qui sont en nous et qu'on ne voit pas». «À la mort d'une personne que j'aimais beaucoup, je me suis rendu compte que la vie disparaissait de manière très soudaine, et si on ne témoignait pas, ce serait comme si elle n'avait jamais existé.

Adolescent, j'ai été interne au lycée de Carthage. Ma famille était loin et j'ai toujours été à l'internat, donc un peu à l'écart. On nous laissait sortir le dimanche et je ne savais pas quoi faire, donc, je suis allé traîner. J'ai fini par prendre des galets et avec un canif, j'ai sculpté des têtes que j'ai montrées à un professeur de dessin, à l'époque. Et il m'a dit : «Demain, je t'amène un livre» ! et il m'amène un bouquin d'Henry Moore. En le feuilletant, j'ai découvert que tout ce qui pouvait traîner peut devenir vivant. C'est le miracle ! Tu n'existes pas et tu t'es donné la vie ! C'est ça le phénomène de la création. C'est-à-dire, dans une société où tu n'as pas d'existence propre, tu peux prendre un caillou et tu peux en faire quelque chose de vivant, quelque chose qui émeut». «Mon père s'est battu, 1932-1956, pour l'indépendance d'un pays. Il rêvait de faire des jardins et il n'a pas eu de jardins ! J'ai donc cessé de chercher ce pays et j'ai décidé de me l'inventer. Et en me l'inventant, je le fais pour d'autres.

Mais ce n'est plus un pays comme ils voudraient qu'il soit mais un autre pays tel qu'on peut le tirer des textes et des documents. Mais ce n'est pas une recherche de l'ancêtre. Jacques Berque disait quelque chose de très juste : «Les Arabes ont toujours tiré leur avenir du passé». Je dis, notamment, que cette société qui a un héritage fabuleux, qui a 60 mots pour nommer l'amour se trouve être la société qui a banni l'amour de son territoire. C'est insupportable ! Je ne travaille pas pour l'argent, ni même pour une œuvre. Je travaille parce que je suis inconsolable d'une situation qui est monstrueuse. Et puis, il y a dans cette civilisation des choses qui m'émeuvent, une possibilité d'être ouvert sur le monde. Un homme n'est pas fait pour être enfermé dans un monde ! Et comme j'ai la chance d'échapper à la mise sous surveillance d'un pays, à la mise sous surveillance d'un rêve, eh bien, que je témoigne» !