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Le professeur Luc Montagnier, découvreur du virus du sida et prix Nobel de médecine 2008 tire sa reverence: «Un prix Nobel dédié aux malades»

par Kamel Sanhadji*

  Les découvertes scientifiques sont souvent une affaire de circonstances et de hasard. Ce qui était vrai du temps de Pasteur l'est également de nos jours et s'est vérifié lors de l'isolement du virus du SIDA (syndrome d'immunodéficience acquise).

Ceux qui luttent contre deux grandes maladies des temps modernes ont été, en 2008, à l'honneur. Le comité suédois de l'Académie de Stockholm, attribuant le Prix Nobel de médecine, a récompensé l'Allemand Harald zur Hausen qui a identifié le virus provoquant le cancer du col de l'utérus (papilomavirus) ainsi que le Français Luc Montagnier, à l'origine de la découverte du virus de l'immunodéficience humaine (VIH) responsable du sida.

Cette découverte a été essentielle à la compréhension actuelle de la biologie de cette maladie et à son traitement qu'est la multithérapie antitrétrovirale (dite trithérapie).

Le comité Nobel ne mentionne pas le nom du professeur américain Robert Gallo, souvent considéré comme le codécouvreur avec Luc Montagnier du virus, affirmant ainsi la paternité de la découverte à ce dernier après une longue polémique.

En effet, c'est le 20 mai 1983 dans un article scientifique publié dans la revue américaine « Science » que l'équipe de l'Institut Pasteur de Paris décrit un nouveau virus suspecté d'être responsable du sida. En avril 1984, Margaret Heckler, secrétaire d'Etat à la Santé américaine, annonçait en fanfare la « découverte » du virus du sida par l'équipe de Robert Gallo, sans que l'importance des travaux de Luc Montagnier n'éclate aux yeux du grand public. En 1984, la découverte américaine est publiée dans quatre articles dans la revue Science dont l'un est accompagné de photos du virus révélé à l'Institut Pasteur de Paris. Une rivalité Gallo-Montagnier ravivée par la guerre des brevets, débouche sur un accord en 1987 signé par Jacques Chirac alors Premier Ministre et par le Président américain, de l'époque, Ronald Reagan. La revue scientifique « Nature » publie alors une chronologie de la recherche sur le sida rédigée par les deux ex-rivaux.

Rendons à César ce qui lui appartient, Luc Montagnier a été couronné pour avoir été l'authentique découvreur du VIH responsable du sida et qui avait déjà tué, à l'époque, 25 millions de personnes à travers le monde. Luc Montagnier, ce jour-là, à Abidjan (Côte d'Ivoire), en marge d'un colloque international, a dédié cette distinction aux malades du sida.

Agé alors de 76 ans, le Professeur Montagnier avait aussi annoncé la mise au point d'un vaccin thérapeutique dans une échéance de quatre ans s'il dispose de moyens financiers. Ainsi, ce prix Nobel avait « re-boosté » les chercheurs, les décideurs, politiques ou médecins.

« La petite histoire »

Ironie du sort, pour la petite histoire, à 65 ans Luc Montagnier a été prié par l'administration de l'Institut Pasteur de Paris, dont il dépendait, de faire valoir ses droits à la retraite. Le chercheur « prend alors sa valise » et s'expatrie à New York où l'administration américaine l'accueille à bras ouverts pour poursuivre sa recherche en lui construisant un centre de recherches à cet effet. Comme quoi l'adage « nul n'est prophète dans son pays » reste d'actualité. Pour rappel, Luc Montagnier a été directeur de recherche au Centre National de Recherche Scientifique (CNRS), spécialiste des rétrovirus à l'Institut Pasteur de Paris. Il est membre de l'Académie de Médecine. En 1987, après avoir été dans son sillage, il m'a aidé à apprendre et à transférer certaines techniques de biologie moléculaire et de culture du virus à Lyon où il a inauguré le laboratoire de recherche (Laboratoire P3) sur la thérapie génique du sida que nous avons dirigé, avec le Professeur Jean-Louis Touraine, au CHU de Lyon en France.

Nous venons d'apprendre le décès, hier soir à l'âge de 90 ans, du Professeur Luc Montagnier. Même si ses orientations récentes sont discutables et ont été beaucoup critiquées car parfois peu rationnelles, nous n'oublions pas les contributions importantes qu'il a apportées en matière de découverte du virus du sida, de son traitement et de l'avancée de la connaissance scientifique.

L'œuvre d'une vie consacrée.

Adieu Maître. Reposez en paix.

*Professeur - Président de l'Agence Nationale de Sécurité Sanitaire