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Le torchon brûle au sein même du temple de l'éducation nationale : Kamis vs hijab

par Abdelkader Benmazouz

Dans un lycée de Mascara, il y a vendetta entre un professeur d'éducation islamique et son directeur. Le premier est accusé par sa hiérarchie de prosélytisme exacerbé. Le second reproche au professeur de se présenter devant ses élèves dans l'habit qui fut dans un passé récent le symbole des extrêmes, le kamis.

Le jeune professeur des lycées, pas suffisamment légitime aux yeux de sa hiérarchie pour imposer un dress-code à ses élèves, puisque vacataire, est sommé de ne s'en tenir qu'au programme. Quelques parents d'élèves s'insurgent contre le fait qu'un enseignant impose le port du voile à leurs progénitures. Des professeures s'insurgent également contre la mentalité salutiste de leur collègue et se plaignent auprès de la direction.

Le professeur est suspendu, il s'en remet aux réseaux sociaux pour dénoncer ce qu'il considère comme un abus de pouvoir de sa direction. Il utilise Facebook pour accuser son directeur de l'empêcher de prêcher la bonne parole et ce qui lui semble être les fondamentaux de l'islam, dans le rôle qui lui échu. Dans une vidéo, Il apparaît sans kamis, dans un style décontracté de jeune premier, plutôt «in». Le chef d'établissement, fort du soutien de sa tutelle lui répond par vidéo interposée, et, se fait écharper par la bien-pensante ambiante des réseaux sociaux. On connaissait le débat autour du voile outre Méditerranée, mais c'est la première fois qu'au sein d'une institution publique dans notre pays qu'une telle polémique voit le jour.

Dans toutes les sociétés il existe des marqueurs identitaires, le vêtement et la coiffure en font partie. Les amérindiens se distinguent par de longues nattes tressées sous leurs coiffes en plumes, les africains par des nattes tressées collées, les orientaux par leurs turbans diversement appréciés. Chez nous, une mosaïque de styles aussi singuliers les uns que les autres, souvent liés à la religion ou l'appartenance à une région géographique offrent un paysage coloré parfois parsemé de fantaisies tel les chapeaux mous, kéffief, dishdasha ou autre agal. Mais qui se rappelle de Bouzid et Zina, les sympathiques héros des bandes dessinées de Slim. La gandoura plus haute que les chevilles, pour la nuance avec les personnages de Naguib Mahfouz. La chéchia et le sempiternel bâton, pour dissuader les regards indiscrets et protéger Zina, et, le voile avec son 3'jâr dans sa version «citadelle algéroise» qui ont été chez nous les principales particularités visibles. Bien sûr il y en a d'autres, la melaya qui porte encore le deuil de Salah Bey, le haïk blanc patrimoine traditionnel, symbole de pudeur ayant participé à la résistance durant la guerre de libération, le stambouli, le guennour chaoui, la chéchia mozabite, le large turban et la coiffe guenaouia des régions du sud ou encore le taghelmust, ce fameux chèche indigo de plusieurs mètres de long porté fièrement par les hommes bleus du désert, les Touaregs.

Le code vestimentaire ou dress-code revêt le plus souvent une signification sociale importante, une norme sociale écrite ou tacite qui renseignerait sur le rang social, la classe à laquelle appartient la personne ou son occupation, ainsi de la blouse blanche des médecins, la robe noire des avocats ou l'uniforme scolaire pour les élèves, la religion également et même le statut marital (port de l'anneau d'alliance).

Historiquement, des lois somptuaires ont souvent tenté d'imposer un code vestimentaire interdisant le plus souvent l'usage du luxe aux couches populaires.

Au début du XIII ème siècle déjà, Philippe IV de France institue des lois somptuaires pour réprimer l'extravagance des costumes.

De François I-er à d'Henri IV, on enregistre, en France, onze édits somptuaires. Ces édits et règlements tentent d'enrayer le phénomène de surenchérissement. Ils spécifient quels tissus doivent être portés, et, prohibent les broderies, dentelles et ornements en or ou en argent. Lorsque l'on entend aujourd'hui les cris d'orfraies lancés par les soi-disant défenseurs de la laïcité, contre le port du voile, c'est à se demander si la France n'est pas devenue amnésique. Mais alors quelle surprise de voir se profiler les mêmes conjectures au sein même de la sacro-sainte institution de l'éducation nationale, ici même, en Algérie.

Dans la Grèce antique, par exemple, l'un des premiers codes de lois attribué au législateur Zaleucos, disposait que « nulle femme libre ne devait arborer des bijoux en or sur elle ni porter une robe brodée à moins qu'elle soit établie comme prostituée ; nul homme ne doit porter de bague en or ni de ces toges efféminées.»

De nos jours on peut également considérer les injonctions de la mode comme des lois somptuaires, mêmes si elles sont parfois arborées comme un étendard. Les nikab, kamis, burkinis, coupes de cheveux tendance parfois bizarres, leggings, bikinis et low-bra, se renvoient la politesse.

Quel rapport avec notre société pourrait-on dire; peut-on parler de dress-code, chez nous? Oui, ces règles existent de manière tacite, mais elles sont diversement appréciées. De part sa diversité, sa richesse, et grâce notamment aux emprunts à d'autres cultures du fait des différentes invasions qu'aura connu le pays dans son histoire, chaque région constitue un espace culturel singulier. Du fait également des principes fondateurs de l'état après l'indépendance: islam, socialisme, et aussi, plus tard à cause de la crise sociale, politique et identitaire, sont apparus d'autres particularismes, tel que le col Mao et le costume classique à manches courtes des militants du parti unique ou le kamis avec des baskets tendance et le nikab chez les salafistes; mimétisme simpliste dans bien des cas.

Tous ces marqueurs, qu'il serait trop long d'énumérer ici et l'influence grandissante des médias, notamment les réseaux sociaux, n'ont pas manqué de bouleverser la sociologie dans notre pays. D'autres codes empruntés aux différentes modes en Vogue chez les occidentaux: les styles rock, punk, gothic, cyber-punk, biker, tatoo, ont fini par faire baisser les bras aux conservateurs de tout bord. La miraculeuse kératine ayant ringardisé la brillantine, le tatouage et le piercing devenu symbole de réappropriation du corps: « le corps dissident, le corps défendant», probablement contre un ordre établit, ce sont les nouvelles armes contre une société castratrice.

Et l'école, ce siège de toutes les contradictions, entre la volonté d'avancer et le besoin de regarder en arrière sans faire le tri du passé; qu'en est il des moyens pour assumer sa vocation, construire l'homme et la femme de demain? Pendant près d'un demi-siècle depuis l'indépendance, les algériens n'ont connue qu'une seule école républicaine officielle, l'école coranique à toujours existée, mais sans tutelle vraiment, si ce n'est la confrérie des zaouias. Aujourd'hui, nous avons l'école publique, celle privée, et l'autre coranique, toutes les trois obéissent à une politique, la même, satisfaire au principe sacro-saint de la démocratisation de l'enseignement.

De la maternelle à l'université, la vocation première de l'institution consiste à dispenser le savoir qui fera émerger une culture pour chaque individu quel que soit sa condition sociale dans le but de forger une nation prospère. Pour mener à bien sa mission et empêcher le sanctuaire qu'est l'école d'être profanée par des influences étrangères à nos us et coutumes, des règles ont été édictées. Code vestimentaire strict qui engage par écrit l'élève et ses parents sans pour autant exiger le port d'un uniforme, comme cela se fait dans beaucoup de pays. Un tablier et deux couleurs pour différencier les sexes sont de rigueur, mais c'est surtout fait pour gommer les disparités sociales, ailleurs, cela perçu comme une discrimination sexiste.. L'école interdit également les vêtements qui représentent la violence, la drogue, la pornographie ou des propos haineux.

L'incident du lycée de Mascara serait-il le signe avant-coureur dune nouvelle passe d'armes entre les adeptes du tout religieux et ceux du profane?