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La sculpture est-elle «maudite» ?

par Belkacem Ahcene Djaballah

J'ai lu, tout dernièrement, une contribution de presse (El Watan/S. Arslan, samedi 18 septembre 2021) consacrée à une conférence -de 40 mn- organisée par l'Université américaine de Yale (Ucla/Californie) et consacrée, tenez-vous bien, au sort de la «Statue de Zighout Youcef», l'«histoire d'une œuvre d'art et de mémoire». Un sujet qui figure dans un ouvrage devant bientôt paraître et consacré au «devenir des statues coloniales françaises en Algérie et en France», signé Susan Slymovics, professeure d'anthropologie des langues et cultures proche-orientales.

Surtout ne pas s'étonner par un choix pareil à l'heure où dans bien des pays occidentaux, sous la pression d'une large frange des populations, les statues et autres représentations des personnages «historiques» colonialistes, esclavagistes, sécessionnistes (ceci pour les Etats-Unis) sont «déboulonnées» et remisées soit dans les caves, soit en des endroits plus discrets, soit, alors, accompagnées d'indications précisant les hauts faits du personnages ainsi que ses méfaits et ses crimes. Pour moi, la meilleure leçon d'Histoire !

Mais que veut donc démontrer notre bonne dame ? On le saura à la sortie de l'ouvrage.

Pour l'instant, ce qui est intéressant, c'est l'aventure, ou plutôt la mésaventure, les pérégrinations et les interdictions connues (à noter que les choses ont quelque peu évolué depuis un certain temps puisque les monuments commencent à fleurir) par l'actuelle magnifique statue de notre héros national qui trône, enfin, depuis février 2021 sur la place principale de la ville de Zighout Youcef. 53 années faites d'attente et, surtout, de faux barrages (surtout politiques : Boumediene puis Chadli) puisque la statue (de 2,60 m de haut) est inaugurée le 20 août 1969 à Constantine, place de la Brèche, à la place du «Coq gaulois» (auparavant démoli le 27 juillet 1962), puis enlevée en 1972 finissant sa course dans les locaux de la mouhafadha de la ville.

A travers la recherche de l'anthropologue, le sculpteur (et peintre) Ahmed Benyahia raconte et se raconte car, à vrai dire, cet «artiste 100%», un des premiers diplômés des Beaux-Arts d'Alger et élève, à Paris, de César, représente (ou représentait) la place «maudite» de l'artiste (comme le poète) dans la cité : envié parce que créatif et libre, méprisé parce que ne s'intéressant pas assez à l'argent et à la politique et rejeté parce qu'il bouscule, quelque part, les codes officiels des pouvoirs et de la société. Des pouvoirs et une société qui refusent de cultiver non pas seulement leurs propres mémoires mais la Mémoire collective et historique pour peu qu'elle ne les arrange pas ou les gêne dans leurs projets, leurs ambitions et/ou convictions. Ainsi, des pierres de ruines romaines et de certaines églises détruites (Annaba, Skikda...) ont servi à la construction de demeures «modernes», les «zizis» et les poitrines des statues ont été recouverts, même dans des musées et la belle de Ain Fouara/Sétif a été «violée» à coups de marteaux plusieurs fois. Et, la «gazelle» de Annaba a échappé au marteau car «Diane la Chasseresse» était assez couverte, de même que la porteuse d'eau de la place de Bir Mourad Raïs (bien que mal ou pas entretenues).

Ainsi, on arrive difficilement, 60 ans après l'indépendance, à produire des œuvres d'art de qualité, faisant courir les foules, chacune d'entre elles rapidement «descendue en flammes» parce que «moche» ou «trop belle», quand ce n'est pas «haram». Peut-être quelques beaux «restes» à l'Ecole nationale des Beaux-Arts ? Je ne sais pas.

Pour l'anecdote : Ahmed Benyahia avait réalisé une magnifique sculpture (voir photo de couverture d'un ouvrage édité en 1976 par le Mic, «Dix années de réalisations : 19 juin 1965-19 juin 1975) érigée à l'entrée du village socialiste de la Révolution agraire El Quanar/Jijel). Elle a disparu en même temps que les villages, que le socialisme et qu'une bonne et belle partie de l'agriculture. Où se trouve-t-elle si elle existe encore ?

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Nous reproduisons ici la chronique parue hier et qui a été signée par mégarde du nom de Guerroua Kamal et dont l'auteur est en fait Belkacem Ahcene Djaballah. Nous nous excusons auprès de nos lecteurs et des concernés.