Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

Droit de grève et service public

par Abdelkrim Zerzouri

Le droit à la grève est-il juste quand ses dégâts collatéraux mettent à mal les droits des autres, notamment lorsque la grève est déclenchée par les personnels d'entreprises ou d'établissements qui assurent l'exécution d'un service public ?

En Algérie, qui vit cycliquement des grèves dans les secteurs qui accomplissent un service public, comme les transports publics, l'éducation, la santé, l'administration

publique et la poste, où les besoins des populations sont pris en otage par les travailleurs grévistes et leurs tutelles tenues d'assurer la pérennité du service public, et qui auraient failli à leur mission s'ils ne réussissent pas à gérer les conflits collectifs, le droit à la grève est presque du domaine sacré. Dès qu'on tente d'amorcer le débat sur le sujet de la grève et de l'introduction de nouveaux outils juridiques pour canaliser les conflits collectifs, on crie à la restriction, à la tentation autoritariste. Mais quelle tyrannie plus hideuse que celle de fermer les guichets et ne pas permettre à un père de famille de retirer SON argent de son compte courant postal à la veille et durant ces premiers jours du Ramadhan ?

La grève des postiers, loin du bien-fondé de leurs revendications socioprofessionnelles, a suscité le courroux d'une clientèle qui n'en revient pas qu'on puisse engager un débrayage dans une période aussi sensible que le début du Ramadhan, qui par essence appelle à la solidarité et l'entraide entre musulmans. Pourtant, elle est bien là, et elle appelle à engager une sérieuse réflexion pour repenser le régime de la grève et apprécier l'exacte portée des droits et obligations des travailleurs de cette entreprise (EPIC Algérie Poste) ou autres établissements assurant l'exécution d'un service public.

N'est-il pas bien meilleur de gérer la grève en amont par le biais de solides mécanismes juridiques, préventifs notamment, que de venir en aval, quand le mal est fait aux usagers des services publics, user de coercition et de menaces de suspension des contrats de travail contre les grévistes pour les obliger de reprendre le travail, comme c'est la pratique courante dans tous les établissements qui exécutent un service public ? Le dernier en date reste cet avertissement à l'encontre des postiers grévistes, sommés de reprendre le service ou, dans le cas contraire, il sera mis fin à leur contrat de travail. Cela constitue-t-il une solution adaptée pour limiter légalement le droit de grève, à travers la menace de licenciement des grévistes et le recours à la justice pour l'annuler dans la forme ? C'est un couteau à double tranchant.

On pourrait effectivement étouffer la protesta, ce qui finit souvent par arriver, mais il ne faudrait pas exclure le risque de graves dérapages incontrôlés si les travailleurs optent pour la confrontation et refusent de se plier aux injonctions malgré l'annulation de la grève par une décision de justice suivie des menaces de suspension contre les grévistes. Ce serait le clash fatal, qui pourrait ouvrir la voie au pourrissement, dont l'issue serait incertaine, menant probablement au discrédit en cas de rétropédalage des autorités, à contrario de limites suicidaires. Sans tenter de restreindre le droit à la grève par quelque moyen que cela soit, il est possible d'assurer la continuité du service public, qui n'est pas loin de l'ordre public, en adoptant un mécanisme législatif adéquat qui garantirait une conciliation entre le droit de grève et le droit à un service public continu.