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Football - Ligue 1: Un état des lieux préoccupant

par Adjal Lahouari

La saison 2020-2021 coïncide avec la onzième année de l'instauration du professionnalisme en Algérie. Il a été dit que les instances en charge de cette discipline ont agi avec précipitation car toutes les conditions n'étant pas réunies. Mais que pouvaient-elles faire suite aux impérieuses injonctions de la FIFA, soucieuse de l'uniformisation du football dont elle est la vigilante gardienne ? D'ailleurs, et ironie du sort, onze années après le début de cette création, de nombreux clubs ont actuellement toutes les peines du monde à fournir un dossier pour obtenir la licence professionnelle ! C'est dire que les dirigeants qui avaient, et qui ont toujours d'autres chats à fouetter, ont traité par-dessous la jambe l'instauration du professionnalisme, de façon réellement désinvolte, parce que c'était pour eux une obligation et non une nouvelle ère pour le football national. Alors, on ne peut s'empêcher de faire la comparaison avec d'autres pays n'ayant pas pourtant la même tradition footballistique que l'Algérie qui a été, rappelons- le, deuxième « berceau » du football africain après l'Egypte. Les chaînes satellitaires des pays du Golfe retransmettent chaque jour des rencontres d'un excellent niveau, loin des « ersatz » de matches que nous proposent les chaînes nationales. Pourquoi le football pratiqué dans ces pays a-t-il progressé alors que le nôtre a emprunté le chemin inverse ? Les moyens ? Non, assurément, car beaucoup de milliards circulent dans le milieu du football algérien avec des joueurs surcotés et surpayés. D'ailleurs, plusieurs clubs, pour s'être engagés dans une surenchère ruineuse en enrôlant des joueurs qui ont un « nom », se sont retrouvés pris au piège et éprouvent des difficultés inimaginables pour régler leurs dettes. Cela n'empêche pas certains d'entre eux de solliciter les services de techniciens étrangers au chômage dans leurs pays, et qui reviennent très cher pour des résultats pas toujours évidents. Par la suite, lorsque les caisses se vident, ils osent se plaindre du manque de moyens !

Lorsque la stabilité prend tout son sens

Le championnat de Ligue 1 en est seulement à sa neuvième journée. Et, déjà, trois clubs commencent à émerger et s'apprêtent à faire du titre une explication entre eux. Certes, il reste beaucoup de journées et bien des évènements pourraient changer la physionomie du championnat, mais il serait surprenant qu'un ou deux formations viendraient à se mêler à cette course avec le trio ESS-CRB-MCA. D'ailleurs, des présidents ont déjà avoué que leurs équipes ne pourront pas disputer le titre, et l'une des principales raisons est résumée par un nom : stabilité. En effet, l'ESS, le CRB et le MCA ont conservé l'ossature de leurs effectifs, tout en les renforçant par un recrutement ciblé, tout en reconduisant leurs entraîneurs. Or, comme les automatismes sont primordiaux en football, il ne faudrait pas s'étonner de cette situation, c'est-à-dire la régression de clubs gros « consommateurs » de joueurs et d'entraîneurs, à l'inverse de ceux qui adorent une valse bien connue. Et, puisqu'on évoque la barre technique, il faut insister sur les dégâts provoqués par ces fréquents changements. D'abord, la plupart des joueurs accusent le coup et sont décontenancés par les méthodes différentes du nouvel entraîneur. En l'occurrence, la sociométrie est complètement ignorée par les responsables. Savent-ils seulement que celle-ci existe et commande harmonieusement les relations humaines, que ce soit entre les joueurs, ou entre ces derniers et leur entraîneur ? Pour n'avoir pas su conquérir le cœur de leurs joueurs, combien d'entraîneurs ont dû plier bagages ? Beaucoup assurément.

Entraîneurs et conceptions du jeu

Chaque entraîneur vient avec sa propre conception et ses idées, dans la préparation et la tactique. S'il obtient quelques victoires, il est couvert d'éloges. Dans le cas contraire, c'est le pestiféré qu'il faut renvoyer au plus vite. Sur les trois clubs favoris, deux sont dirigés par des entraîneurs étrangers, le CRB par Frank Dumas, et l'ESS par Nabil El-Kouki. Ce paramètre pourrait être interprété de différentes façons. On notera que le MCO, l'USMA et la JSK, ne font pas partie, du moins pour le moment, du groupe des favoris. Actuellement, Neghiz (MCA), Ighil Meziane (JSS), Iaîche (ASAM), Moussi (ASO) sauvent l'honneur de la corporation des entraîneurs algériens. Si les Cherif El-Ouazzani (RCR) et Hadjar (OM) paraissent capables d'améliorer le classement de leurs équipes, en revanche, il y a déjà eu des changements au sein de l'USMBA, au NAHD, à l'USMA, au WAT, au CABBA, à la JSK et au CSC, tout en soulignant que ce même phénomène risque de se produire à la JSMS et au NCM, c'est-à-dire chez les mal-classés. N'oublions pas le Tunisien Bouakaz malgré les bons résultats dans un premier temps avec l'US Biskra, a été limogé. Ce que l'on doit souligner, c'est que certains d'entre eux sont responsables en partie de cette régression. A leur décharge, il faut reconnaître qu'ils sont sommés d'obtenir des résultats immédiats et ne peuvent, par conséquent, mettre leurs conceptions en pratique. On leur « assigne » des objectifs qui ne sont réalisables que dans les têtes des dirigeants. C'est ainsi qu'ils optent pour la facilité tactique, c'est-à-dire l'organisation défensive. Certes, jusqu'à présent, on a enregistré quelques gros scores, mais il y a eu tout de même 63 fois zéro but dans les rencontres déjà disputées. Si on divise les buts inscrits, nous aurons une moyenne dérisoire, ce qui déplorable pour des professionnels grassement rémunérés. Bien sûr, il y a des entraîneurs qui ont des excuses comme par exemple, des joueurs limités et peu de moyens de récupération, un volet de plus en plus essentiel dans ce championnat marathon. Parfois, on voit des techniciens dont la docilité face au président-payeur fait peine à voir. A contrario, on constate que des entraîneurs ne se laissent pas faire et partent la tête haute.

La mauvais procès

On se souvient que certains observateurs ont fait un mauvais procès à Djamel Belmadi, lui reprochant de ne pas convoquer des joueurs locaux. Ces gens ont sans doute oublié que Belamri, Attal, Bensebaini, Belaili, Bounedjah, Slimani, Boudaoui et Soudani, pour ne citer que ceux-là, ont été formés en Algérie. Cependant, force est de reconnaître qu'ils se sont tous épanouis à l'étranger où les structures ne sont pas comparables. Il en est de même du côté de la rigueur avec laquelle les clubs européens ne badinent pas. On ne peut donc reprocher au sélectionneur de faire de la « prospection » ailleurs, d'autant plus que l'ancien international Boughrara suit de près les rencontres pour monter une équipe nationale des locaux, tout comme d'ailleurs Djamel Belmadi qui continue à visionner les rencontres de Ligue 1 dans l'espoir de découvrir un joueur sélectionnable. En ce moment, il y a quelques joueurs qui affichent des qualités, mais c'est tout à fait relatif compte tenu du niveau du championnat. Il faut se rendre à l'évidence : c'est insuffisant pour une « masse » de 540 signataires dont le métier est de jouer au football.

Des organigrammes souvent inutiles

Comment se déroulent les entraînements ? Cela dépend de la stature du club, de ses moyens, de ses objectifs et des staffs techniques. Pour en mettre plein la vue, des entraîneurs annoncent parfois du biquotidien et même du tri-quotidien. Or, ce n'est pas le nombre qui compte, mais plutôt la qualité des séances. Les entraîneurs des décennies passées seraient jaloux des facilités accordées à leurs successeurs. Dans les années 60/70, l'entraîneur s'occupait de tout. Aujourd'hui, l'entraîneur en chef transpire rarement, laissant ses adjoints faire le travail, aidés par le préparateur physique et le responsable des gardiens. On n'oubliera pas la présence d'un ou deux kinés, des soigneurs, du médecin et parfois d'un psychologue. En arrière-plan, il faut signaler les fonctions de manager général, du directeur sportif, du secrétaire et même dans un club de Ligue 1, un superviseur, une véritable œuvre collégiale qui a ses bons et ses mauvais côtés. Et dire que seul l'entraîneur en chef paie en cas d'insuccès ! Face aux exigences des dirigeants, l'entraîneur est dos au mur. Il fut un temps où un sélectionneur national supervisait incognito les séances des clubs de l'élite. Aujourd'hui, si Djamel Belmadi faisait la même chose, les clubs crieraient à ce qui ressemblerait à une ingérence selon eux !

Arbitrage : encore du chemin à parcourir

Cet état des lieux serait incomplet si on n'évoquait pas l'arbitrage. Une évidence dont on a rarement souligné l'importance, à savoir que l'arbitrage dans sa meilleure version participe au développement et à la progression du football. Mais les arbitres de grande qualité est une « denrée » de plus en plus rare. Pour un Ghorbal et un Benbraham, on trouve des referees incapables de sortir une bonne prestation. Tout récemment, la sous-commission d'évaluation a mis des arbitres « au frigo » pour mauvaises prestations et insuffisance de condition physique. Deux questions : Comment ces arbitres indésirables ont-ils grimpé les échelons ? Pour le second reproche lié à la condition physique, n'ont-ils pas subi les exercices comme, par exemple, le test de Cooper ? Nous avons des arbitres de différents niveaux. Certains sont vraiment bons, mais il s'agit d'une minorité. On comprend mieux les difficultés de la commission lors des désignations, car ses membres doivent prendre en considération divers paramètres. Cela va de l'importance du match à «l'allergie» des dirigeants de clubs envers certains arbitres ! Il ne faut pas oublier que des dirigeants ont tenté, à maintes reprises, de récuser d'excellents arbitres pour des raisons très obscures. Jusqu'à présent, il y a eu du bon et du moins bon. Mais il est clair que certains referees n'ont convaincu personne, commettant des erreurs flagrantes. Nous avons constaté la diversité de leurs appréciations sur les situations litigieuses. Certains ont accordé des penaltys pour un simple coup d'épaule, alors que d'autres ont fermé les yeux sur des fauchages nets et caractérisés dans la surface. Que leur reproche-t-on le plus souvent ? Le laxisme sur les fautes grossières et les hors-jeu principalement. Ils se contentent de siffler un coup franc alors que l'avertissement devait être donné. Souvent, ils laissent le jeu se poursuivre alors que la « règle » de l'avantage est diversement appliquée. Par ailleurs, ils ferment les yeux sur les rentrées de touche et les coups francs, les bénéficiaires « grappillant » des dizaines de mètres alors que les Lois du jeu sont claires. La « nouveauté » cette saison, ce sont les irritantes simulations des joueurs dont l'équipe mène au score, surtout dans les dernières minutes. A ce jeu-là, les gardiens de but sont devenus des spécialistes. Force est de constater que des arbitres, pourtant chargés d'appliquer strictement les Lois du jeu, ne répriment pas ces manifestations de tricherie et d'antijeu. Enfin, des entraîneurs sortent très loin de la surface technique, alors que d'autres arbitres se font même bousculer. Est-ce normal ?

Où en est-on avec la formation ?

De grosses primes de victoires sont promises aux joueurs. Hélas, l'appât du gain pousse ces derniers à ne viser que la victoire, peu importent les moyens ou la manière. Et cela se fait au détriment du jeu et qui explique sa dégradation, même si on a assisté à quelques belles phases de jeu dans certaines rencontres. Les bonnes équipes se comptent actuellement sur les doigts d'une seule main et sont connues. Le futur champion ne sortira que de ce groupe restreint, et ce « décalage » pénalise le football algérien. Ce tour d'horizon serait incomplet si on ne fustige pas le mauvais comportement de quelques joueurs, partisans déclarés « du football à la tronçonneuse » et qui utilisent des moyens illicites pour arriver à leurs fins. En ce concerne les joueurs limités sur les plans technique et moral, il faut souligner les défaillances de leurs « éducateurs » au niveau des jeunes catégories. Récemment, un joueur a écopé d'un carton rouge pour un crachat sur un adversaire. Et pourtant, l'arbitre venait de siffler un coup franc en sa faveur. Ce joueur n'a donc pas bénéficié d'une éducation dans les jeunes catégories. Ce comportement constitue une tare le plus souvent irréparable lorsque le jeune arrive en équipe sénior. Ce tableau est-il trop noir ? Oui, mais c'est justifié. Espérer une prise de conscience générale de toutes les parties revient à dire espérer la réalisation d'un rêve inaccessible tant que les mentalités ne changeront pas. Car le ver est dans le fruit, et il ne faut pas être grand clerc pour imaginer les désastreuses conséquences. L'avenir nous donnera la réponse.