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Réformes et gouvernance: Un agenda et des échéances

par Ghania Oukazi

Le président de la République avait donné trois mois aux walis pour mettre en œuvre ses instructions pour «le changement» et devait leur demander des comptes une année après. Mais le destin en a voulu autrement.

«Vous avez trois mois pour mettre en œuvre ce que nous avons décidé et on se revoie dans une année pour en rendre compte», avait dit Abdelmadjid Tebboune dès son intronisation au Palais d'El Mouradia. Ces propos, il les avait adressés aux walis qu'il avait réunis pour la première fois depuis son investiture, en présence du gouvernement qu'il venait de mettre en place.

Une année « déjà» que Tebboune est président de la République, élection et prestation de serment comprises. Lors de sa première conférence de presse, il avait promis aux Algériens qu'il allait les surprendre par le choix des ministres. La surprise était, en effet, immense. Les Algériens découvraient des ministres jeunes, certains bardés de diplômes, et d'autres- hommes et femmes ayant participé au «hirak» et dénoncé les responsables qui avaient servi sous Abdelaziz Bouteflika, parmi eux, lui en tant que ministre de l'Habitat et de l'Urbanisme qu'il a été pendant plusieurs années.

Tebboune devait faire le point avec les responsables nationaux et locaux qu'il a choisis, une année après qu'il ait pris les commandes du pays. Mais le destin en a voulu autrement. La détérioration de son état de santé l'a obligé à solliciter des équipes médicales étrangères pour se faire soigner. Il est évacué en Allemagne, le 24 octobre dernier, pour «des examens médicaux». A ce jour, il n'a pu rejoindre le pays. Juste avant, le samedi 20, il s'est confiné pendant 5 jours après avoir été contaminé par le coronavirus, selon les précisions de la présidence de la République. Le mercredi 17 octobre, il avait annulé un Conseil des ministres pour des raisons de santé. Il avait aussi annulé une rencontre avec des responsables de médias nationaux.

Le temps passe et les semaines s'écoulent vite

Le président de la République est depuis ce temps-là entre les mains de médecins étrangers même si le 23 novembre dernier, il a fait une brusque et brève apparition sur son compte twitter pour promettre aux Algériens qu'il priait Dieu pour rentrer au pays «dans les plus brefs délais, dans deux ou trois semaines».

Le temps passe et les semaines s'écoulent à un rythme effréné mais le pays n'a pas encore amorcé sa mue pour progresser vers la «Nouvelle Algérie» qu'il affirme vouloir bâtir. Il semble qu'il n'a pas choisi la bonne équipe pour le réussir. Preuve en est, dans son tweett, il s'est adressé uniquement au ministre de l'Intérieur et aux walis pour leur recommander d' «assurer le transport scolaire et les repas chauds aux élèves» des zones reculées. Il zappera ainsi son Premier ministre le temps d'une déclaration qu'il a fait diffuser durant un peu moins de 5 minutes. Il est connu que l'actuel ministre de l'Intérieur lui est très proche pour avoir travaillé étroitement avec lui dans le secteur de l'Habitat. C'est peut-être cette proximité qui le fait compter sur un ministre et pas tous les autres. En politique, il n'est cependant pas permis d'ignorer des faits aussi flagrants qui dénotent d'une «coupure» -voulue ou pas- entre le président et son gouvernement. Sa demande expresse à la Commission Laraba de finaliser la loi électorale « en 10, 15 jours» est cette autre preuve d'un tel état de fait. Elle peut être expliquée comme étant une véritable course contre le temps qu'il veut engager pour mettre en œuvre les réformes politiques qu'il a prévues après le vote de la Constitution, en priorité la dissolution de l'Assemblée populaire. Il est clair que sa volonté de le faire pour pouvoir organiser des élections législatives anticipées, est ferme. Il veut, nous dit-on, de sources proches de la présidence de la République, «gagner du temps et programmer (dans la mesure du possible) en même temps des législatives et des locales». La mise en place d'une nouvelle Assemblée parlementaire l'obligera à changer tout son personnel politique.

Le gouvernement sera donc revu de fond en comble. S'il a affirmé lors de sa récente apparition de l'étranger, qu'il suit «heure par heure ce qui se passe dans le pays, c'est qu'il veut y arriver le plus tôt possible parce qu'il n'est content de personne», nous disent nos sources. Loin des yeux, loin du cœur..., l'adage a toujours été vérifié à travers le temps et prouvé que «quand le chef n'est pas là, les souris dansent».

«La république couscoussière»

Et puisqu'il est au courant de ce qui se passe en Algérie, il doit savoir que son gouvernement innove en matière de gestion et de prospective. Il a dû entendre sa ministre de la Culture anticiper la menace qui pèse sur les familles algériennes si la mère ne sait pas rouler le couscous. «La femme qui ne sait pas préparer le couscous, rouler ses grains, un par un (...), constitue une menace pour sa famille», a-t-elle affirmé lors de la cérémonie organisée pour annoncer l'intégration de ce succulent plat dans le patrimoine universel. Non contente d'avoir provoqué le buzz en attirant l'attention des Algériens sur une menace d'un autre genre, celle de femmes incultes en cuisine traditionnelle, Bendouda a tweetté, avant-hier, pour expliquer qu'elle n'a pas été comprise et que «la phrase a été sortie de son contexte». Les sages ont bien fait de qualifier le silence d'or. Interrogé sur son cursus professionnel, ses cadres lâchent en souriant qu' «à chaque fois qu'elle nous réunit, elle insiste pour répéter que je suis philosophe et je dirige l'ensemble du secteur de la Culture». Le gouvernement Djerad n'en finit pas de surprendre par ses approches et ses méthodes de diriger des secteurs qui pourtant ne nécessitent pas une grande intelligence mais juste la raison et le bon sens. D'autant que de nombreuses équipes avant lui ont établi des diagnostics précis sur ce qui ne marche pas. Au-delà de ces frasques, le gouvernement semble faire du surplace. Des responsables au niveau du ministère de l'Intérieur nous ont affirmé, hier, que «rien ne bouge, on attend...».

Dans les années 90, au temps de la décennie noire, un spécialiste de la communication animait une tribune dans un quotidien national sous le titre «la République couscoussière». Il a dû s'étonner de voir, aujourd'hui, une ministre en être l'architecte en cheffe. Après avoir étalé le burnous arabe sur les Pyrénées enneigées, cette chaîne montagneuse européenne, selon la métaphore du Premier ministre, Abdelaziz Djerad, la ministre de la Culture voit certainement juste en pensant que seul le couscous peut réchauffer les esprits refroidis par de telles aberrations.

Tebboune travaille de l'étranger

Du «si vous n'êtes pas content (de la nouvelle constitution), quittez le pays» du ministre de la Jeunesse et des Sports au refus catégorique de la ministre de la Solidarité de prendre le bulletin bleu, tout aussi que le blanc, pour s'isoler et voter secrètement le jour du référendum pour la Constitution, en passant pas la déclaration du président de l'ANIE qui a préféré se démarquer de cette attitude contraire aux lois qu'il est censé faire respecter au nom de la mission qui lui est conférée, on assiste à une kermesse genre «la fête à la maison» qui n'augure rien de bon. L'on rappelle que le COVID-19 continue d'inquiéter le monde entier et que l'économie nationale poursuit sa récession, tout autant que celles de tous les pays. A la différence et à bien d'autres nombreuses, en Algérie c'est la bonne gouvernance qui sclérose l'ensemble des domaines d'activité. Pour ne citer que lui, le système de Santé n'est pas aussi performant que l'a affirmé le président de la République en personne. « Haba men haba oua kariha men karih (qu'on le veuille ou non).» Des malades chroniques continuent de courir de pharmacie en pharmacie pour trouver le médicament qu'il leur faut. « D'autres meurent chez eux parce qu'ils ne sont plus pris en charge au niveau des hôpitaux», nous disaient, hier, un chef de service inquiété par « ce qui se passe». C'est d'ailleurs par l'image et le verbe que Tebboune a déclaré, mercredi dernier, s'être rétabli «grâce aux médecins de l'hôpital militaire de Ain Naadja et des médecins allemands». Ces derniers ne veulent toujours pas le libérer après plus de 5O jours de son hospitalisation et semblent l'obliger à faire sa convalescence sous leur surveillance. Le président de la République reçoit même des appels téléphoniques de ses homologues étrangers et s'accordent avec eux sur des agendas de travail, à partir de l'étranger. Ce sont les cadres de la présidence de la République qui l'affirment par des communiqués officiels.