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«LE FUSIL DE ANTON TCHÉKHOV» (OU LE DÉTAIL QUI COMPTE)

par Belkacem Ahcene-Djaballah

«Il ne faut jamais placer un fusil chargé sur scène s'il ne va pas être utilisé. C'est mal de faire des promesses au spectateur ou au lecteur que l'on n'a pas l'intention de tenir» dixit Anton Tchékhov (1860 - 1804), le dramaturge russe.

Deux petites phrases qui ont donné naissance à ce qui est communément (sic !) appelé, le «fusil de Tchékhov» (ou «Loi de conservation des détails»). Donc, un objet d'apparence banale qui apparaît dans un récit. Au départ, c'est un principe dramaturgique. Ainsi, chaque détail mémorable (visible, lisible, entendu...) dans un récit de fiction doit être nécessaire et irremplaçable et où aucun de ces éléments ne peut être supprimé. Avec le temps, il est devenu un principe de vie (la vie - politique - n'est-elle pas une immense scène de théâtre ?), un moment d'un discours, une partie d'écrit, et qui se révèlera, par la suite, crucial pour l'adhésion des publics ou leur degré de confiance.

En politique, cela revient, pour le décideur, à dire qu'il ne faut jamais, mais alors jamais, se hasarder (je viens de découvrir que le mot hasard est d'origine arabe... az-zahr... le jeu de dés et je comprends bien mieux bien des situations ) dans ses contacts avec ce grand, cet immense public qu'est la foule (toujours insaisissable dans sa totalité, si solidaire mais si solitaire, si capable d'amour mais aussi de haine ) avec des promesses hasardeuses, c'est-à-dire celles qu'on n'est pas sûr de tenir à l'heure dite. Et surtout ne pas laisser, au niveau de la sphère décisionnelle, n'importe qui, quelles que soient ses compétences, dire n'importe quoi n'importe quand. Surtout en temps de crise. Sinon, bonjour les dégâts !

Ainsi, on nous a «promis» que le vaccin contre la grippe saisonnière sera sur le marché en grande quantité dès le 3 novembre (2020). Un mois après, je cours (le mot est trop fort car, à mon âge, je marche lentement) toujours après, avec des pharmaciens, au départ plein de promesses afin de générer de l'espérance et de garder la clientèle, qui ont finalement baissé les bras et vous disent carrément «Non ! pas pour l'instant». Même le «roi-piston» a démissionné.

Résultat des courses, on accepte, désormais, avec fatalisme la mort grippale, dont on ne saura les conséquences réelles sur la société que lors du prochain recensement général de la population, s'il est bien fait. Un «flu death boom 2020» en perspective ? Résultat des courses : au moment où «on» (quelqu'un de «confiance» !) nous annonce que la vaccination contre la Covid-19 aura lieu probablement courant janvier 2021 (une info' vite démentie par le premier responsable du secteur), la confiance dans les promesses gouvernementales (ministérielles ou de spécialistes de la chose sanitaire) s'en est trouvée érodée pour ne pas dire évaporée.

Morale de l'histoire ! Il est toujours bien plus simple de tenir un discours aussi réaliste que possible et dépouillé d'on ne sait quelles promesses avec leurs dates presque trop précises. C'est ce que l'on n'a pas vu ou que l'on voit tardivement. Il est vrai que c'est là une pratique du discours qui date des premières années de l'Indépendance. La gestion du théâtre politique national par la promesse, un élément du décor inchangé. Il est vrai aussi que la culture théâtrale vraie nous manque et Tchékhov est, chez nous, pour beaucoup, un illustre inconnu.