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Indifférence aux prix

par Kamal Guerroua

Par les temps d'inflation qui courent, l'indifférence aux prix devient, curieusement, la règle en Algérie. Dans la plupart des magasins, on change les prix sans vergogne, sans la moindre explication ni la moindre excuse à la clientèle. On semble en plus ignorer, effet de la spirale inflationniste oblige, qu'au-dessous du dinar, il y a des centimes! Un constat qui est, pour rappel, valable dans les cafés, les bus, les marchés hebdomadaires, les trains et ainsi de suite ! D'ailleurs, de nombreux commentateurs sur les réseaux sociaux révèlent que, parmi les motivations d'achat, le critère prix n'est souvent pas le plus important ! Un de mes amis, universitaire de son état, m'affirmait que, dans les copies d'examen d'économie qu'on lui remettait, les étudiants jonglaient avec les zéros sans que cela leur cause la moindre gêne. Je ne suis pas sûr qu'ils aient plus de discernement quand il s'agit de sommes beaucoup plus modestes : telle cette toute jeune femme que j'ai vue, il y a 2 ans à Alger, chez le quincailler tendre 40 dinars pour un boulon au lieu de 38 dinars requis, et rempocher la différence sans que cela semble changer quoi que ce soit pour elle.

Nul ne saurait dire si cette mentalité « économe » est appelée à durer. Peut-être un jour, n'y aurait-il plus de monnaie du tout, mais seulement quelque ordinateur géant qui fera nos comptes personnels une fois par un an. Je ne parle pas, bien entendu, de compte bancaire qui existe déjà, mais de compte à domicile pour les besoins quotidiens du foyer. Déjà certains signes ne trompent pas : ainsi le percepteur d'impôts ne craint pas de nous annoncer un redressement d'impôt du montant de notre salaire mensuel, comme s'il s'agissait d'une rectification sans importance. Peut-être en viendrons-nous un jour à regretter le temps de l'économie. Il y avait sans doute un certain plaisir à devoir attendre, quelque temps, avant d'avoir ce qu'on désirait.

Quand, enfin, on avait mis assez d'argent de côté pour s'offrir un nouveau pardessus, c'était toute une économie que l'achat ! Et quand on avait épuisé ses ressources du mois, on le savait. On ne faisait pas ses comptes avec des cartes de crédit et des ordinateurs, mais avec de l'argent liquide ! Etre fauché, cela voulait dire ne plus avoir de sou. On retournait ses poches, navré, les yeux levés comme dans l'attente d'un signe céleste. Puis on essayait d'emprunter à un ami quelques billets jusqu'à la prochaine paie ; et ce jour-là, on remboursait dès que l'enveloppe était ouverte, car le généreux prêteur se trouvait justement là, comme par hasard !

Ainsi, se construit l'illusion inflationniste : ce qu'on nous donne d'une main, on nous le reprend d'une autre! Et la vie continue...