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Saïd Bouhadja n'est plus

par Ghania Oukazi

  L'ex-président de l'Assemblée populaire nationale, Saïd Bouhadja, vient de quitter ce monde en laissant l'Algérie entre les mains d'un encadrement institutionnel dont l'un l'avait empêché de rejoindre son bureau en lui fermant la porte avec une chaîne et un cadenas.

Saïd Bouhadja est décédé hier aux premières heures du matin à l'hôpital Mustapha des suites d'une longue maladie. Il avait 82 ans. Il a été enterré hier après-midi au cimetière d'El Alia en présence d'une foule de responsables militaires et politiques très dense.

Né en 1938 à Skikda (Est du pays), le défunt moudjahid était militant du FLN, membre de son bureau politique et un de ses mouhafadhs pendant de longues années. Il a été en outre son député de 1997 à 2002. En 2017, il a été intronisé président de l'APN au « nom de l'équilibre régional ». Il gardera le perchoir de la chambre basse jusqu'en octobre 2018 pour en être délogé par la force des bras de « militants » FLN et des autres partis du pouvoir qui ont cadenassé l'entrée principale de l'un des majestueux bâtiments du boulevard Zighout Youcef. « Du «c'est un chahut de gamins» en 1988, à «c'est un incident de parcours» en 2018, le FLN continue de prendre en otage les institutions sous les effets de «coups d'Etat scientifiques» répétitifs avec la bénédiction de ses plus hauts responsables », écrivions-nous dans ces mêmes colonnes le 25 octobre 2018. En précisant toutefois que « les actions menées à cet effet n'ont rien de scientifique ». Avancés par les partis du pouvoir comme étant «une pratique démocratique», les faits relèvent en réalité «d'une démocratie débridée, infâme, sans foi ni loi. Rompu aux «coups d'Etat», le FLN vient ainsi d'en commettre un en abrogeant le mandat de Bouhadja pour placer Mouaad Bouchareb à la présidence de l'APN au nom, a dit Ould Abbès, de «la continuité, de la génération de la révolution à celle de l'après-indépendance». Au diable la présence « d'opposants » qui ont toujours, écrivions-nous dans le même article, crié à la fraude électorale «massive» mais ont toujours accepté de siéger dans des institutions «élues» de la sorte ».

Une continuité bête et méchante

Le pouvoir venait « de prescrire la manière et les moyens auxquels les jeunes peuvent recourir pour faire débarquer «les vieux» qui continuent à occuper des postes de responsabilités contre la «logique» du fameux discours du président de la République de «tab edjnana (notre temps est révolu ndlr)». Bouchareb avait été nommé en parallèle coordonateur provisoire du FLN après la démission de Djamel Ould Abbès de son poste de secrétaire général. Le 30 avril 2019, Bouchareb est poussé à la démission de cette coordination pour céder la place au député Mohamed Djemaï « élu » lui SG du parti. Dans l'édition du 4 mai 2019, nous écrivions que « l'arrivée de Mohamed Djemaï à la tête du FLN n'a pas dérogé à la règle de l'urne de l'ombre, des rappels à l'ordre, des intimidations, de l'exclusion, de la marginalisation, du choix imposé sur instruction «d'en haut», d'un resserrement des rangs par opportunisme et par allégeance au plus fort et autres, du discours de jeunes sur un ton de vieux fortement imprégné de la langue de bois et d'un ralliement absurde au pouvoir en place. Tout y est pour que le changement se fasse par une continuité bête et méchante. Les réflexes ont la peau dure ».

L'épisode de Djemaï a été fomenté après que le pouvoir militaire incarné par le général de corps d'armée Ahmed Gaïd Salah, vice ministre de la Défense et chef d'état-major de l'ANP ait pris les commandes du pays et décidé d'appliquer « immédiatement » l'article 102 de la Constitution pour destituer le président Abdelaziz Bouteflika. S'en est suivie la démission de Bouchareb qui avait été obligé de prendre la porte de l'APN le 2 juillet de la même année. Malgré ses vives intentions de le faire, ce n'est pas Djemaï qui va lui succéder mais Slimane Chenine, chef du groupe parlementaire de l'alliance islamiste El Aadala oul Binaa et Ennahda, plutôt connu comme bras droit de Cheikh Mahfoud Nahnah alors président du MSP.

Des scénarii rocambolesques

L'évocation de Saïd Bouhadja même au passé, depuis hier, rappelle indéniablement que l'Algérie n'a jamais réussi à régler la crise institutionnelle qui l'a mine depuis toujours. Beaucoup ont trouvé curieux que Bouhadja ait été hospitalisé à Mustapha et non à l'hôpital militaire de Aïn Naadja où tous les hommes du système politique ont le droit de se soigner. Son décès confirme néanmoins que le lieu d'hospitalisation des uns et des autres n'importe pas, la mort étant un droit imparable à tous. Mais il vient attirer l'attention que le pays n'a toujours pas résolu la lancinante question de la légitimité de ses institutions de premier rang. Les députés de l'APN qui l'ont empêché de terminer son mandat de président continuent d'être sollicités pour voter des projets de lois d'une importance cruciale pour le pays à l'exemple de la Constitution, la loi de finances et le Code pénal. Pourtant, les conditions de leur élection en tant que tels sont non seulement soumises à examen mais condamnées par la justice de Belkacem Zeghmati pour « faux et usage de faux » parce que disent ses responsables «le député Tliba incarcéré a avoué que le siège de député a été vendu à 7 milliards». La preuve de la malversation caractérisée s'applique donc de fait pour la majorité parlementaire que constituent les partis du pouvoir. Le maintien du statut intérimaire de Salah Goudjil en tant que président du Conseil de la Nation est cet autre fait qui laisse perplexe. Bien que la vie prouve à chaque minute que les temps ne sont jamais sûrs, le pouvoir politico-militaire laisse les choses traîner sans complexe. En Algérie, les institutions demeurent otages de bonds décisionnels et de scénarii alambiqués voire rocambolesques qui risquent à chaque fois d'emporter l'Etat et la Nation. Ce risque demeure aujourd'hui entier et menaçant en l'absence du président Tebboune qui est dans l'incapacité d'exercer ses fonctions depuis le 24 octobre dernier, date à laquelle il a connu de sérieux soucis de santé. Personne ne peut assurer son intérim légalement.

A moins de changer de régime politique et de système de gouvernance. Ce que le temps ne permet plus, du moins pour prendre en charge l'actuelle situation politique conformément à la Constitution en vigueur.