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Qu'est-ce qu'un « Hirak » qui n'a pour objectif que le « Hirak» ?

par Salah Lakoues

De plus en plus nombreux sont les compatriotes qui partagent leurs interrogations quant au devenir du « Hirak ». Les contraintes de la pandémie nous auront conduits à la réflexion et surtout aux projections sur le futur. Une chose est certaine: le peuple a toujours le dernier mot. Il est clair que le mouvement, né le 22 février 2019, aura brisé un tabou salvateur, en mobilisant tout un peuple, pour mettre un frein définitif à une situation burlesque et nocive. La confiscation du pouvoir par un régime politique que 20 années de règne ont solidement pérennisé, aura fini par éteindre toute vie politique et opacifier toute visibilité du futur.

Corruption, clientélisme et absence de principes sont devenus des normes absolues. Tout le monde aura succombé - à un degré ou un autre - à cette diabolique tentation. Tout service de l'appareil d'Etat est devenu fonds de commerce privatif source de marchandages occultes.

Les bases mêmes de toute éthique républicaine ont subi une déprogrammation-reprogrammation. Il faut dire que bien nombreux étaient ceux qui en tiraient profits et privilèges. L'Algérien est devenu corruptible et corrupteur, à tel point que la question de la « tchipa » ne fait plus polémique; elle est devenue un devoir. C'est dire à quel point nous avons été réduits, par réflexes de survie. Si le retournement de situation - que l'on doit à l'accompagnement du mouvement par l'Armée (qu'on le veuille ou non) - a permis de faire tomber des têtes, les structures mentales du « boutéflikisme » n'ont pas disparu de? nos pratiques. La corruption au niveau de base continue d'être une valeur reconduite implicitement; toute opacité administrative est source mécanique d'enrichissement personnel.

Au fond, la question du « Hirak » consiste à se demander pour quoi faire ? Pour sortir tous les vendredis et répéter inlassablement : « yrouhou ga3 » ? Dans un tel contexte, le slogan de ?yrouhou ga3 », signifierait que tous ceux qui donnent vie à la corruption, par exemple, devraient être bannis. Il ne resterait pas grand monde en ville! Ou bien le « Hirak » sert-il les intérêts occultes de manipulateurs dont la seule visée est de s'accaparer du pouvoir ? Les jeunes qu'ils guident leur servant de chair à canon, pas plus!

Faire de la politique politicienne ne conduit nulle part. Notre préoccupation principale consiste à penser l'avenir immédiat en termes critiques, vis-à-vis du pouvoir, certes, mais aussi en termes autocritiques. Il nous faudra passer à d'autres pratiques. Mais pour ce faire, il nous faudra de nouveaux repères juridiques - d'où la nécessité de voter une nouvelle Constitution. Il est clair que la Justice devra se libérer de toutes les pressions qui l'ont guidée jusque-là pour devenir réellement transparente. La seule façon de le faire, en plus des excellents textes dont nous disposons déjà, c'est de créer les contre-pouvoirs légaux. C'est ce à quoi peut servir une Assemblée nationale. Outre ses fonctions législatives, elle a aussi un droit de regard sur le fonctionnement de l'Etat et sur les dépenses publiques. Elle peut interpeller les membres du Gouvernement et demander des comptes. Ne retrouvons-nous pas là tout ce que le « Hirak » initial espérait obtenir ? La question est comment y arriver rapidement ?

En se préparant, d'ores et déjà, à prendre son destin en main - en d'autres termes, à faire de la politique et non plus de la protestation spectacle. Faire de la politique veut dire savoir ce que l'on veut et le programmer de manière réaliste et pratique. C'est sur la base de ces programmes (ce que l'on veut faire de ce pays) que l'on peut se faire élire par des électeurs qui partagent ces visions. C'est ainsi que l'on peut devenir des représentants légitimes et fidèles de son électorat et compter sur cette légitimité pour peser sur les décisions. Là est le ferment de la démocratie - en attendant d'inventer autre chose. Il est clair que le calendrier est simple: d'abord on vote l'adoption de la révision de la Constitution. Ce qui ouvrira la voie à du changement. Ensuite, il reviendra au peuple de décider de son avenir en investissant l'Assemblée nationale sinon ce sont les vieux chevaux de retour (?majorité présidentielle') qui vont occuper le terrain à notre détriment. Pour empêcher cela, nous n'avons besoin que de conviction et d'adhésion, du plus grand nombre, à nos options et propositions. Préparons-nous à jouer un rôle actif et direct plutôt que « de compter sur son voisin » car comme on dit « elli yetkel 3la jarou, ybèt bla 3cha » (celui qui compte sur son voisin ne dînera pas le soir). C'est dire que le « Hirak » est dans un carrefour où plusieurs options s'offrent: renforcer les manipulateurs (qu'ils soient communautaristes ou islamistes) ou bien s'engager sur la voie de l'Algérie nouvelle dont la physionomie est tributaire de l'engagement des jeunes ICI et MAINTENANT! Le prolongement du souffle « Hirakiste » authentique s'annonce sans ambiguïté : prendre le relais dans les organes nationaux de législation et de contrôle de l'exécutif. Rien ne pourra empêcher les jeunes de prendre leur place, toute leur place. S'ils reculent devant la difficulté, alors d'autres occuperont ces responsabilités. Et ils seront bien mal placés pour dénoncer les abus et autres dérives antidémocratiques. La jeunesse a donc rendez-vous avec son histoire et c'est bien le « Hirak » qui leur aura ouvert les portes. Il revient aux patriotes d'aider ces jeunes gens à prendre la relève plutôt que de les laisser manipuler par des forces aux agendas qui sont bien loin de servir ce pays qui a sacrifié un million et demi de « chahids » afin que ses enfants jouissent de la liberté et de la considération.