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LE TABLEAU A EFFACER

par Abdou BENABBOU

L'altercation entre le wali d'Oran et une enseignante oranaise a été au centre d'une pénible rentrée scolaire, à la limite du soutenable. Par les commentaires acerbes, les insultes et les humeurs lourdes, elle s'est imposée comme une parfaite symbolique d'un bain boueux où les croisements des propos entre le social et le politique produisent des remous inévitables. Elle a été aussi et surtout celle d'une Algérie qui a très mal au tréfonds d'un corps n'ayant pas su digérer ni gérer un parcours cahoteux.

L'infortuné wali ne disposait pas de réponse satisfaisante pour un état des lieux dont il n'est pas totalement responsable et son dos n'était pas suffisamment large pour supporter l'immense grief d'une enseignante qui s'est suffie d'une boutade pour mettre le doigt sur une énorme et multiforme tare dans laquelle le pays est englouti. Du bout des lèvres de l'éducatrice, et en ne lui accordant aucune consistance bien réfléchie, son retour à la période coloniale s'est engouffré dans une panoplie de travers avec lesquels le pays n'en a pas fini. En commis, le wali n'avait d'ultime recours que de s'abriter derrière un patriotisme devenu aujourd'hui presque fantasque et déluré quand il s'oppose à un manque de tables, d'eau de javel ou de craie. Bien que l'interpellation spontanée de l'enseignante ne comporte pas d'insinuation calculée avec un vocable tarabustant une histoire nationale, elle s'est vite inscrite, grâce aux réseaux sociaux, sur un important registre qui a secoué l'Algérie entière.

Que le gouvernement lui-même s'en inquiète et se voit obligé de tempérer les colères est l'indication d'une dichotomie entre un peuple et ses dirigeants et donne un aperçu sur l'énorme difficulté des tâches à entreprendre pour trouver un langage commun. Raccommoder la confiance par le pouvoir pour aller ensemble de l'avant n'est pas œuvre facile. Certains ont décidé de verser dans la vocifération perpétuelle. D'autres se nourrissent de pondération allant jusqu'à rappeler à l'enseignante que l'Etat lui a garanti le salaire de huit mois de repos et que s'arrêter à une histoire de table ne serait qu'un rot gratuit. Entre les deux, il s'agirait plutôt d'un large tableau noir à effacer.