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Le Covid-19 sous l’angle de l’égalité des sexes

par Susan Papp(1) et Marcy Hersh(2)

NEW YORK – Lorsque les pandémies frappent, les dirigeants mondiaux et acteurs de la santé sont contraints de s’adapter rapidement à l’immédiateté de la menace. Et bien souvent, la question des sexes constitue le dernier facteur qu’ils intègrent à leurs considérations – lorsqu’ils ne préfèrent pas tout simplement l’ignorer.

En tant que militantes pour la santé et les droits des femmes et jeunes filles, nous avons mille fois entendu les excuses formulées : «La question des sexes ne constitue pas la priorité actuellement», répondent les décideurs. «Nous en reparlerons quand tout sera rentré dans l’ordre», poursuivent-ils. «Ce n’est pas le bon moment», insistent-ils. Si nous entendons mettre en œuvre les réponses les plus efficaces face au COVID-19 – comme à n’importe quelle urgence sanitaire – cette situation doit changer.

Les femmes et les jeunes filles subissent en effet les épidémies différemment des hommes et des jeunes garçons. Un examen sous l’angle de l’égalité des sexes révèle les risques et vulnérabilités spécifiques auxquels les premières sont confrontées, en raison d’inégalités profondes, et du rôle traditionnellement attribué à chacun. Les faits qui ressortent de cet examen peuvent par ailleurs permettre de sauver des vies, et de veiller à ce que personne ne soit laissé de côté dans les réponses que nous apportons face à l’urgence.

Pour recadrer notre réponse à la pandémie, en inscrivant la question des sexes au cœur de la démarche, nous devons avant tout protéger et soutenir les professionnels de la santé, dont 70 % sont des femmes. Il est crucial que ces effectifs de santé soient formés, dotés de ressources, et équipés, ce qui signifie remédier aux pénuries mondiales de matériels de protection de types masques et gants, afin que les professionnels et leurs patients soient correctement protégés.

Cela signifie également régler la question d’un écart salarial de 28 % selon le sexe des professionnels de la santé à travers le monde, tout en veillant à ce que des environnements de travail décents et sûrs s’accompagnent d’équipements de protection adéquats. Cela permettra d’éviter des interruptions dans la dispenses des services, en faisant en sorte que les professionnels de la santé ne tombent pas eux-mêmes malades, ainsi qu’en assurant le maintien d’un personnel qui combat jour et nuit le COVID-19. Nous devons également démanteler ce système discriminatoire qui exclut les professionnelles femmes d’un certain nombre d’organes décisionnels à l’initiative des protocoles d’urgence vitale dans les environnements de santé.

De même, il sera impossible de fournir des données fiables sur le COVID-19 aux professionnels de la santé, aux dirigeants politiques et aux médias, si nous n’investissons pas rapidement dans la collecte de renseignements ventilés selon le sexe et l’âge, dans le cadre de tous les efforts de surveillance et de contrôle. Les crises sanitaires passées, telles que l’épidémie d’Ébola en 2014 et l’épidémie de choléra en Sierra Leone en 2012, révèlent combien l’absence de données ventilées par sexe entrave les décisions judicieuses, les réponses efficaces, et les rétablissements rapides. Même si ces crises d’hier diffèrent de l’urgence du COVID-19 aujourd’hui, la nécessité de solutions basées sur des preuves, et appuyées par des données de qualité, demeure précisément la même.

Nous devons également nous interroger sur la façon dont les rôles traditionnels attribués à chacun des sexes façonnent la manière dont les différents profils et identités sexuelles vivent le COVID-19. Cela signifie réfléchir au-delà des données préliminaires en provenance de Chine, qui suggèrent que les infections au COVID-19 seraient légèrement plus nombreuses chez les hommes que chez les femmes. Cela signifie également que nous devons évaluer ce qui rend au départ vulnérables à la maladie les jeunes filles, les femmes, les jeunes hommes, les hommes et les personnes non-binaires.

À titre d’illustration, les crises sanitaires passées révèlent que les femmes, auxquelles est traditionnellement attribué le rôle d’aidantes auprès des membres malades de la famille, augmente bien souvent leur exposition aux maladies infectieuse, par un contact de personne à personne. C’est ce qui a été observé lors de l’épidémie d’Ébola en 2014-2016, de l’épidémie de SRAS en 2002-2003, ainsi qu’en Inde lors de la lutte contre le virus Nipah à Kerala en 2018. Dans tous ces cas, de nombreuses jeunes filles et femmes ont été infectées parce qu’elles avaient prodigué une aide. Le fait de le savoir permet aux aidantes de comprendre l’importance d’un renforcement des mesures préventives à la maison, comme souligné par les directives de prévention de l’OMS contre le COVID-19, et de rapporter les cas d’apparition de symptômes.

Tandis que nous apportons une réponse médicale et épidémiologique au COVID-19, nous devons également veiller à la continuité des services essentiels de maternité ainsi que de santé sexuelle et reproductive. L’épidémie d’Ébola en Afrique de l’Ouest a révélé que les efforts d’endiguement pouvaient priver d’effectifs et de matériel d’autres services indispensables pour les femmes, avec de potentielles conséquences désastreuses : la mortalité maternelle dans la région avait augmenté de 75 % pendant l’épidémie, et le nombre de femme accouchant à l’hôpital ou en clinique diminué de 30 %.

La nécessité d’accès à des sages-femmes, à une protection contre les violences sexuelles, à la contraception et à l’avortement dans des conditions de sécurité, augmente souvent dans les périodes d’épidémie. La crise du COVID-19 n’y fait pas exception. Les violences domestiques semblent avoir augmenté à Wuhan, en Chine, pendant les deux mois de confinement de la ville. Même en périodes de crise sanitaire, les couples font l’amour, les jeunes femmes découvrent la puberté, les règles, tombent enceintes, donnent la vie, et c’est pourquoi les réponses à ces besoins doivent demeurer une importante priorité.

Il faut pour cela promouvoir les femmes aux postes à responsabilités. Les femmes prestataires de services, épidémiologistes, soignantes, ou encore leaders de communauté sont qualifiées et compétentes, comme dans beaucoup d’autres domaines. Par-dessus tout, elles sont les meilleures expertes de leur propre vie, et doivent pouvoir être significativement impliquées dans les efforts de prévention et les solutions à apporter.

Cela signifie permettre une participation des femmes et des jeunes filles dans le cadre de toutes les interventions locales, nationales, régionales et mondiales contre le COVID-19. Les femmes doivent être présentes au sein des conseils locaux et des organes législatifs où sont prises des décisions importantes. Au niveau international, la question du déséquilibre des sexes aux postes de direction de la santé, occupés à 72 % par des hommes, doit être traitée d’urgence.

Au moyen de ressources suffisantes, nous pouvons éviter de reproduire les erreurs du passé, et élaborer des réponses sous l’angle de l’égalité des sexes dès le départ. Bien que les 15 millions $ et les 14 milliards $ d’aide d’urgence respectivement engagés par les Nations Unies et la Banque mondiale constitue formidable une première étape, nous avons besoin d’investir davantage dans la mise en œuvre des politiques qu’exige une stratégie efficace de lutte contre le COVID-19.

Depuis trop longtemps les excuses formulées pour ne pas appréhender les crises sanitaires sous l’angle de l’égalité des sexes entravent les solutions dont nous avons le plus besoin. Pour notre bien à tous, cette situation doit changer.

Traduit de l’anglais par Martin Morel
1- Directrice générale des politiques et démarches militantes au sein de l’organisation Women Deliver.
2- Directrice principale des démarches militantes humanitaires chez Women Deliver.