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LE GUICHET, UN BIEN PERSONNEL

par Abdou BENABBOU

On ne peut prétendre rétablir la confiance entre l'Etat et peuple sans se préoccuper sérieusement de la nature actuelle de l'administration, sur sa raison d'être et sur son fonctionnement. Cette entité essentielle est aussi importante sinon plus névralgique que le rôle de l'institution judiciaire car c'est à travers son administration que l'Etat est d'abord jugé et ses relations avec ses administrés évaluées. Or par un mélange des genres l'idée ancrée jusqu'ici a dénaturé les rôles pour que la fonction publique s'investisse comme une force rendant la population à son entière disposition plutôt que l'inverse.

Investi roi et armé de son bon vouloir et de son humeur, l'agent public fait comme s'il ne doit en aucune manière sa présence derrière un bureau ou un guichet que grâce au contribuable qui lui assure sans faille la garantie de son pain. S'attarder et s'arrêter à expliquer les pénibles travers de l'administration par le galvaudage répété et simpliste d'une vague bureaucratie est insuffisant pour justifier des tares qui gangrènent la société entière tant il est vrai que le pouvoir politique actuel n'est pas du tout là où l'on croit qu'il soit. Penser que la faculté de décision nationale qui fluidifie les rapports entre le peuple et l'Etat est localisée dans les cabinets ministériels et institutionnels est se mettre le doigt dans l'œil car par les temps qui ont couru et par la culture déphasée qui s'est installée le vrai pouvoir politique s'est niché derrière les guichets. C'est l'agent public et le bureaucrate qui se sont accaparés de la gérance et de la gestion de l'ensemble de la vie citoyenne. Quand cette gestion repose sur le dictat et est polluée par la nonchalance criarde et orchestrée par un nombrilisme désastreux d'un préposé public, la mission de l'Etat devient dénaturée et suspicieuse. La confiance ainsi rompue, l'Etat perd sa raison d'être. Le citoyen lui tourne le dos car il lui devient légitime de s'inscrire en faux contre une autorité censée lui faciliter la vie mais qui au contraire lui complique l'existence.

Pour contenir ce fléau, sans doute faudrait-il aller au-delà du classicisme d'une flopée de réglementations devenues inopérantes et permettre par de nouvelles lois contraignantes de pénaliser financièrement un agent de l'Etat qui considérerait son guichet comme un bien personnel légué par on ne sait quelle providence.