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5 Juillet 1962 - 5 Juillet 2020 - 58ème anniversaire de l'indépendance nationale: La grande fête

par Hamid Sahnoun

Le peuple algérien dans la ferveur, dans l'intensité du souvenir, dans la confiance en l'avenir, commémore et célèbre le recouvrement de l'indépendance et 58 ans d'efforts soutenus pour édifier une nation à la mesure des sacrifices consentis par les générations qui se sont succédé du 5 juillet 1830 au 5 juillet 1962, est à la dimension des ambitions, des aspirations et de la fougue de la jeunesse algérienne. Aujourd'hui dans un même souvenir, dans un même élan, un peuple entier fait observer une halte à l'histoire pour interroger le passé et questionner le futur. Instants chargés d'émotion, de recueillement et d'espérance qui ont cristallisé et figé la larme et fait naître le sourire sur le masque de la douleur.

La liberté, longtemps captive, a brisé les chaînes de la servitude pour éclairer l'ascension du peuple algérien vers la maîtrise de son destin. Sitôt la souveraineté reconquise, l'Algérie a fait fi des convulsions, des tentatives de division et de déviation, des appétits de tous ceux qui ont voulu briser cette ascension pour installer sur les décombres du colonialisme les temples de leurs fantasmes et soumettre le pays aux aléas de leurs chimères. Trempée dans la résistance, l'Algérie a balayé ces scories de l'histoire, engagé avec la ténacité de l'espoir le combat du développement, le combat de l'avenir, 50 années durant, la génération de juillet, guidée et animée par le souffle de celle de novembre, s'est mise à l'ouvrage pour éradiquer les vestiges de l'exploitation et planter à travers villes et campagnes les pépinières de la liberté. Déjà, les premières moissons commencent à s'engranger : les trépidations des usines, la terre fécondée par le labeur inlassable du fellah, l'effervescente activité d'une jeunesse avide de savoir, forment le tableau harmonieux de la marche de l'Algérie vers les horizons que novembre et juillet lui ont assignés.

Les capacités du peuple algérien à poursuivre avec pugnacité l'œuvre exaltante de son développement le prédisposent à dépasser les effets néfastes d'une crise mondiale qui n'épargne personne ; tant il est vrai que ce peuple a toujours su se montrer à la hauteur de l'événement quand l'histoire l'interpelle. L'indépendance de l'Algérie a été saluée comme un évènement exceptionnel à travers le monde entier. En France, le général De Gaulle reconnaît solennellement l'indépendance de l'Algérie. Aux USA, le président John Kennedy publie un communiqué. En URSS, les dirigeants soviétiques saluent la liberté retrouvée par le peuple algérien. En Yougoslavie, en Inde, en Suède, dans les capitales arabes et africaines, l'évènement prend une dimension exceptionnelle... Alger enthousiasmée reçoit des messages des quatre coins du monde et prend déjà pour beaucoup le symbole de la lutte pour la liberté.

Alger, 3 juillet 1962. Il est moins de huit heures. Toutes les rues du centre-ville, de Belcourt à Bab El-Oued jusqu'aux hauteurs de Télemly et de la Casbah, sont occupées par une foule qui clame à tue-tête «Tahia El Djazaïr» !!! Les visages sont marqués par un indescriptible bonheur d'hommes, de femmes et d'enfants qui n'en peuvent plus déjà de donner libre cours à leur joie de l'Indépendance. L'Indépendance ! Ainsi donc, ce mot magique, comme irréel, qui a fait prendre le chemin des maquis et des prisons à des générations d'Algériens depuis près de huit ans, venait enfin de pénétrer dans la ville blanche dont les édifices, les toits, les échoppes, les arbres, bref, tout ce qui pouvait constituer un support quelconque, étaient couverts du drapeau vert et blanc frappé du croissant et de l'étoile. Au carrefour du Square Bresson, face au Tantonville qui avait prudemment débarrassé la terrasse, la foule en délire de Belcourt opère sa jonction avec celle venue de Bab El-Oued et de la Casbah toute proche. Des adolescents sont juchés sur le toit de quelques voitures vite submergées puis immobilisées. D'autres plus agiles et plus téméraires grimpent sur la façade de l'Opéra et accrochent encore d'autres drapeaux qu'ils embrassent sous les vivats de la foule qui, lorsqu'elle ne crie pas «Tahia El Djazaïr», entame ces chants révolutionnaires, chante et danse.

Des terrasses de la Casbah montent, nettement perceptibles, les youyous des femmes qui n'ont pu se mêler à la foule. Légèrement en retrait de l'entrée de la rue Bab-Azzoun, sous les arcades, deux personnes âgées tiennent, à même le sol, des drapeaux. De l'autre côté, vers la mer étincelante, des groupes de jeunes traversent le bastion central et franchissent les grilles du port qu'ils investissent peu à peu au point que, vers midi, les quais, jusque sur la jetée de l'Amirauté, sont noirs de monde. Là encore, des drapeaux sont accrochés y compris sur les mâts des bateaux. Même exubérance, même joie, même enthousiasme dans le centre-ville à l'intérieur des rues Henri-Martin, Dumont-d'Urville, Isly, dans l'avenue Pasteur et la rue Berthezène, au Plateau Saulière qui avait été le lieu, et désormais le témoin, où l'on avait tant combattu l'Indépendance. Près des facultés, une femme, juchée sur un véhicule, désigne du doigt la bibliothèque aux fenêtres béantes et aux murs calcinés de l'Université d'Alger et crie «Nous la construirons» ! Oui, reprend en chœur la foule, «Nous la reconstruirons et nous y enverrons nos enfants apprendre à construire l'Algérie nouvelle».

Au cœur des quartiers européens tout alentour de la rue Michelet, des rues Charras, Charles-Péguy, Clauzel, Hoche, etc. à l'endroit même où les commandos de l'OAS n'avaient plus que les femmes de ménage à assassiner une semaine auparavant, des véhicules drapeaux en tête font actionner leurs avertisseurs en rythmant les notes de «Tahia El Djazaïr». Fatiguée sans être lassée, la foule scande encore et encore sa foi en l'Indépendance. Ceux qui n'en peuvent plus s'assoient à même les trottoirs, dans les jardins publics, mais les rangs de la foule ne cessent de grossir. C'est que la population des banlieues environnantes qui convergeait vers la ville depuis la matinée vient régulièrement en renfort, si bien qu'en milieu d'après-midi, tous les accès d'Alger à l'Est comme à l'Ouest étaient devenus complètement inabordables. Les manifestations prenaient de l'ampleur dès lors à la Madrague et Guyotville, à Zeralda et Chéraga, à Ben-Aknoun et aux Asphodèles, à Kouba et El-Harrach. Mais en fait, elles s'entendaient bien au-delà dès Rouiba et Maison Blanche pour l'Est et dès Blida pour l'Ouest. Nous, on était arrivés de plus loin encore, de Berrouaghia, et nous avions mis plus de cinq heures pour atteindre la veille Alger, car tout au long du trajet, à Ben-chicao, Ouzera, Médéa, Chiffa et Blida, nous nous étions arrêtés pour participer aux manifestations qui avaient commencé déjà.

Le lendemain après cette merveilleuse journée à Alger, nous étions bloqués vers dix-sept heures aux carrefours de Cinq Maisons à El-Harrach par une foule qu'une journée de liesse n'avait pas fatiguée. Les ATO tentaient vainement d'organiser la circulation, aidés par des manifestants. Peine perdue, les voitures allaient dans tous les sens pour s'immobiliser, certaines servant tout aussitôt de support à des tribuns improvisés qui essayaient de faire entendre une voix que les clameurs de la foule couvraient impitoyablement. Nous avons pu finalement rejoindre Berrouaghia tard dans la soirée, mais là encore, alors même que, nous avait-on dit, les manifestations s'étaient succédé toute la journée, des groupes de jeunes gens parcouraient encore la ville sous les lampions et la douceur d'un doux été de liberté. Le 4 juillet, la presse se faisait largement l'écho des manifestations qui s'étaient déroulées dans toute l'Algérie et dont la clameur s'était répandue à travers le monde entier. Toutes les capitales suivaient en effet l'évènement de l'Indépendance de l'Algérie qui apparaissait comme l'un des faits marquants du vingtième siècle dans la mesure où la guerre d'Algérie avait sonné le glas de l'ère coloniale.

En ce début du mois de juillet, le peuple algérien laissait éclater sa joie de la liberté retrouvée après plus de cent trente deux années de domination coloniale. L'ALN défilait dans les rues et prenait déjà en main les destinées du pays. En ce début du mois de juillet, un Etat que le colonialisme avait cru faire disparaître était ressuscité. Il l'était grâce à près de huit années de lutte, de souffrances et de sacrifices. Ainsi, ni les bombardements, ni les emprisonnements, ni la répression aveugle, ni les manœuvres en tous genres n'avaient pu venir à bout de la volonté du vaillant peuple algérien d'arracher l'Indépendance qui lui a été confisquée en 1830. Au sombre juillet de Sidi Fradj avait enfin succédé le juillet lumineux de la liberté et de l'Indépendance. Il restera gravé comme un moment impérissable dans la mémoire collective des Algériens qui ont montré que la force ne pouvait jamais vaincre l'idée. Et l'idée d'Indépendance, chaque Algérien l'a toujours eue dans le cœur. En 1962, il l'avait enfin dans la main.