Pourquoi
on n'avance pas en Algérie ? Quoique vaste et compliquée, la question me tente,
vu l'état peu enviable dans lequel se trouve notre pays. Récemment, dans une
région rurale enclavée de la Kabylie, une foule de citoyens a bloqué le siège
de la mairie pour « mauvaise gestion des élus locaux ». L'événement n'est,
paraît-il, pas nouveau dans cette région-là puisque la mairie fut déjà le
théâtre de bien d'autres expériences de blocage. Résultat : faisant fi de toute
loi, l'édile et son équipe n'ont pas bougé le petit doigt, pour répondre aux
revendications de ceux qui les ont élus. Devant les caméras d'une chaîne de
télévision privée, ces derniers ont déversé leur ras-le-bol : promesses non
tenues, non réalisation de projets de développement local, dilapidation éhontée
de biens publics, matériel du parc communal laissé à l'abandon et, chose très
grave, absence de décharge publique pour des milliers d'habitants enragés. Bien
entendu, la situation de cette commune ne diffère pas beaucoup de bien d'autres
en Algérie. Cherchez l'erreur chers lecteurs ?
Eh
bien, aux effets de la corruption massive instaurée en dogme de gestion, des
décennies durant, s'ajoute la marginalisation des compétences locales, la bureaucratie,
le clanisme, le je-m'en-foutisme, etc. Somme toute, tous ces maux endémiques
qui gangrènent l'administration algérienne. Par où commencer alors pour
changer, le haut ou le bas de l'échelle ? «C'est pareil», me répond un jeune
désœuvré de Bab El Oued, «mais pourquoi ?» «Tout
semble pourri dans ce bled, et lorsque les choses sont pourries, la solution ne
pourrait être que radicale». «C'est-à-dire ?» «Tout jeter à la poubelle pour
repartir de zéro !» Faudrait-il donner ou non raison à cet Algérois en colère ?
La réalité, ma foi, est que «le drapeau de l'espoir est presque en berne» chez
nous. Il suffit de voir comment l'on complique la vie des jeunes pour un simple
dossier de logement, pour comprendre la colère actuelle de la rue face à ceux
qui leur promettent des réformes. Avoir un toit, l'un des premiers droits
élémentaires, sous d'autres cieux, s'avère un véritable parcours de combattant
pour un Algérien. Et comment, diantre, se marier, avoir une vie stable et un
foyer sûr, sans toit ? Impossible gageure!
Mais pourquoi, du coup, aucun secteur, chez nous, n'est épargné par le désordre
et la bureaucratie ? Tout simplement, parce que tout est pourri, c'est-à-dire
tout est à nettoyer, à reconstruire, à réorganiser ! C'est une question d'ordre
et de discipline avant tout. C'est, du reste, le constat dressé par un jeune,
revenu d'une clinique privée où il a emmené récemment sa mère, vieille et
gravement malade. Après d'incessants allers-retours
entre radiologues, échographes et cardiologues, ceux-ci lui proposent d'opérer
la patiente, sa mère. Oui opérer une malade, présentant des symptômes
cardiaques sévères, afin de lui extraire une vésicule biliaire, contre la somme
de dix millions de centimes ! Mais, une fois transférée dans la salle
d'opérations et avant même d'être anesthésiée, la malade, presque en agonie, a
failli mourir. La cause : faux diagnostic médical de la clinique ! Ce qui a
poussé le personnel médical à l'évacuer d'urgence pour un réexamen en
cardiologie, aux frais du client, et se rendre compte, qu'elle est atteinte
dans l'aorte d'un sévère anévrisme. «Quel cirque!» me
dit l'ami, j'ai failli acheter la mort de ma mère avec mon propre argent. Et
pas que ça, j'ai subi moi-même un choc terrible, et n'était-ce la présence de
ma sœur à mes côtés, je serais déjà mort!» « Et la
faute est à qui ?» l'interrogeai-je, curieux. «Au manque de discipline,
l'indifférence et la cupidité de ceux qui ne savent pas ce qu'est vraiment un
citoyen, et sous-estiment la valeur de la vie humaine.»