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Récit succint sur Abi Madyan Choâib dans deux villes algériennes

par Baghli Abdelouahab*

En signe de reconnaissance à ce célèbre andalou ascète et savant, nous présentons un aperçu historique sur son passage en Algérie médiévale. Il est né dans la paisible colline sévillane, à Cantiana (Tocina) en 520 H, 1126 J.-C. ; descendant des Ansar de Séville.

Berger dans sa prime enfance, il décide d'abandonner le legs familial, inspiré à s'acquitter autrement avec la vie d'ici-bas. Il décide de quitter son pays natal malgré les empêchements à deux reprises de son frère aîné. A la troisième tentative, ce dernier dut se soumettre et lui accorder la liberté pour suivre selon ses vœux, un destin voué aux sciences religieuses. C'est au Maroc qu'il va puiser les connaissances qui vont éclairer son âme. Il maîtrisa auprès de ses grands maîtres les sciences profuses qui vont faire de lui un très grand érudit.

C'est à Tlemcen qu'il entreprit son premier voyage de docte. Il fut accueilli avec un «oui - mais», prétextant que la cité abondait d'aussi éminents savants. Il n'y eut point de dialogue pour le lui faire comprendre, la délégation a présenté une jarre de lait, pleine à ras le bord, pour lui signifier que l'ajout d'une goutte ferait déborder le vase ! Entre grands, on n'a pas besoin de phraséologie pour en saisir le sens, le message a été intercepté, il sort alors de derrière son burnous une rose qu'il fit surnager sur le lait. Il n'y eut point de débordement. C'est pour dire que dans la science il n'y a pas de trop-plein. Confus, les Tlemcéniens ont réagi par mille excuses en lui offrant gites et prises en charge. Peine perdue, il réagira par «un oui - mais» à son tour ; il ne rentrera pas dans la cité interdite mais enseignera sur les hauteurs de la ville à Sidi Abdellah del Bâal des années durant. Les Tlemcéniens réconciliants lui vouèrent un prestige à la hauteur de sa convenance.

C'est à Bejaïa qu'il va élire domicile pour de longues années, ce qui lui convenait très bien, car cette ville était reconnue comme étant une cité des sciences, l'un des plus grands centres de rayonnement de la culture islamique en pôle avec Baghdad et Cordoue. C'est à partir de cette cité qu'il va lever une armée de moudjahidines pour participer avec Salah Eddine El Ayoubi à la guerre sainte contre les croisades. Le grand chef de la cause islamique, Salah Eddine va attribuer une donation à Sidi Boumédiène soit un patrimoine terrestre à Jérusalem en signe de reconnaissance à l'inconditionnalité des Algériens.

Cette fondation «Habous» portera son nom. Nous détenons de ce lieu une topographie et un acte détaillé stipulant un ensemble d'édifices, adaptés pour divers usages, y compris une exploitation agricole, une «Zaouia» qui a hautement contribué à la diffusion des sciences par des œuvres et des études très riches. Une partie des revenus financiers de l'exploitation, réglait selon les vœux du dépositaire, l'hébergement et la restauration destinés aux voyageurs pèlerins en provenance de l'Occident musulman en partance pour les lieux saints pour l'accomplissement de leur pèlerinage. Ils en jouissaient bénévolement durant un séjour d'escale de trois jours dans cette troisième ville sainte de l'Islam. D'où la formule populaire «diafat el mouman talatat ayam». Le reliquat des revenus était destiné aux œuvres de bienfaisance. Cette fondation, alors réputée, resta fonctionnelle durant des siècles et, par conséquent, gagna le respect et la protection des gouvernements successifs. Malheureusement, depuis le sinistre Traité de Sèvres du 10 août 1920, tous les «Habous» (donations) furent spoliés par les colonisateurs.

Sidi Abi Madyan était doué d'un savoir exemplaire et vénérable. Il laissa des ouvrages précieux, très recherchés, dont un recueil de maximes (El Hikem). Sa réputation dépassa le bassin méditerranéen et le monde musulman, ce qui a été la cause d'être mandé par le monarque almohade de quitter Bejaia et de se présenter à Marrakech. Il entreprit le voyage avec au moins 1.000 disciples dont la plupart était des doctes. Les distances parcourues se limitaient à 40 km/jour. L'arrêt était toujours conditionné par la présence d'une source d'eau. Chemin faisant, il arriva, en caravane, au sommet d'une montagne près d'un point d'eau connu actuellement sous le nom d'Aïn Takbalet. Contemplant de loin les hauteurs d'El Eubbed qu'il connaissait auparavant, il confia «Quel endroit propice pour dormir...». Puis, s'adressant à ses compagnons inquiets pour l'issue de cette convocation, il déclara pour les rassurer «Je ne verrai pas le sultan et, il ne me verra pas». Sentant ses derniers moments approcher, il pria ses compagnons de l'inhumer «à l'endroit où s'arrêtera sa mule». Suit un moment de transe, il balbutie ses dernières paroles pour évoquer, ce qu'il a prêché sa vie durant, la souveraineté universelle de Dieu et que Dieu est la Vérité suprême : «Allahou l'Haqq». Il mourut le 13 novembre 1197 (594 de l'Hégire), orienté vers la Qibla, d'où le nom d'Aïn Takbalet, visiblement du verbe istekbala, hameau situé à 40 kilomètres de Tlemcen.

En cette même année, furent décédés le sultan Yaâcoub El Mansour et le savant Ibn Rochd.

Il fut inhumé à El Eubbed, comme il l'a fait ressentir à ses condisciples. Plus tard, un habous comprenant une mosquée et une medersa y a été bâti en son honneur. Ce sont des chefs-d'œuvre d'art andalou exécutés par des artisans de souche. L'arc d'honneur de sortie de la mosquée, en descendant les escaliers, domine la structure médiane du mausolée du savant. A l'époque décadente fut édifié anarchiquement des bâtisses jointes au mausolée, ce qui a dénaturé la symétrique de son centre ainsi que son forum (S'han).

Le patron spirituel incontesté de Tlemcen était jusqu'à cette date Sidi Daoudi Ben Sar, avec l'inhumation du nouveau saint-soufi, il connaîtra une certaine éclipse.

Les disciples qui ont accompagné Sidi Boumédiène ne sont pas retournés à Bejaïia. Ils ont préféré rester à Tlemcen pour bénéficier de sa félicité. Ils vont se répartir sur l'ensemble de la région. Grâce à leur degré scientifique, ils vont rehausser le niveau culturel de la ville. C'est le levain intellectuel qui va faire de Tlemcen l'un des pôles les plus brillants de la civilisation du monde musulman. C'est ainsi que les Marazika vont constituer une lignée de savants théologiques sur plusieurs générations, de même que Sidi El Habbaq, plus technique, va mettre au point l'astrolabe, cet instrument aux 38 fonctions servant à mesurer entre autres la hauteur d'un astre au-dessus de l'horizon (un véritable mini-ordinateur) ; Sidi El Bidjaî enseignera à Nedroma et y sera enterré, Sidi Hafif va s'implanter à Terny où il va professer les sciences religieuses...

Dans le sang de chaque Tlemcénien, coule du sang bougiote !

La reconquista espagnole entreprise dès le XIe siècle à l'encontre des Musulmans et des Juifs, a poussé ces derniers à l'émigration. La plupart d'entre eux ont opté pour les pays musulmans. De nombreux coreligionnaires se sont établis à Tlemcen, et parmi les sites prisés pour leur nouvelle résidence dans cette cité, les rapatriés ont choisi de se regrouper autour d'un des leurs, enterré à El Eubbed, un des plus grands soufis de tous les temps, Sidi Boumédiène pour bénéficier de sa protection. Hélas, El Eubbed n'était qu'une colline rocheuse, condamnée à demeurer petite malgré sa prédisposition sacrale. En effet sur son flanc sud-ouest jaillit un mont appelé Sidi Abdellah d'El Baal voué depuis des millénaires à l'adoration, d'abord païenne (rassemblement de la communauté pour se prosterner au soleil lors de son coucher) puis antérieurement lors des révélations monothéistes.

Comme il s'agissait des meilleurs citoyens du monde, les nouveaux résidents se sont attelés à transformer cette éminence rocheuse en un paysage vivable, digne de leur universalisme. Ils vont mettre à contribution tout leur savoir géophysique, hydraulique, technologique, agricole...

Ils vont modifier les flancs des montagnes arides à l'aide des nouveaux procédés d'aménagement. Des murettes pratiques édifiées, limitaient des cultures en terrasses le long des pentes qu'ils séparaient en paliers. L'irrigation se faisait par des procédés perfectionnés ayant pour point de départ la source d'Aïn El Ghomri, située en hauteur, puis ils vont contourner les montagnes et les falaises des cascades pour arroser, au moyen de rigoles, des jardins nouvellement créés sur toute leur longueur. A cause de l'inclinaison remarquable de ces terrains d'accès difficiles, les travaux d'exploitation étaient pénibles : arriver à creuser dans la roche et remplir une calotte par l'apport de terre meuble était très pénible et constituait un risque. Les nouveaux agriculteurs employaient pour cela la main-d'œuvre autochtone pour creuser la chéchia et offraient en contrepartie un r'yel à titre de récompense ; d'où la formule «chéchia ber'yel» ; locution encore vivante dans la région. Ce monticule rocheux s'est transformé en une terre agricole, fertile dans son ensemble grâce aux techniques audacieuses mises en pratique. Ce qui lui a valu de mériter une plus-value et est devenue par conséquent arpentable.

Tout le paysage qui ceinture le tombeau de la sépulture de Sidi Boumédiène est devenu désormais verdoyant, des jardins aménagés (dj'nen) s'étalent à perte de vue depuis El Eubbed pour s'étendre sur les gorges de la vallée d'El Ourit, enjolivées par les cascades, pour se déployer de part et d'autre le long de l'oued Saf Saf. Il faisait bon y vivre.

Dans ce contexte, un autre système génial de canalisation en argile faïencée à l'intérieur a été réalisé. Ce genre de conduite provenant des sources alimentait les demeures et les fontaines des habitants, certaines sont encore fonctionnelles à ce jour.

Chaque parcelle a un nom propre qui correspond au nom de l'exploitant. Pour plus d'indication sur les noms patronymiques d'origine andalouse, il y a lieu de se référer aux appellations des propriétaires des parcelles de cette agglomération qui s'étend d'El Eubbed pour décliner vers Saf Saf, ou de consulter le cadastre.

Les résultats de ces techniques merveilleuses ont donné naissance à une production de légumes, de plantes, de fleurs et d'arbres fruitiers très variés, importés d'Andalousie, comme les orangerais, les abricotiers et les cerisiers et ce, en raison de la fertilité acquise et de l'eau abondante et limpide omniprésente. Ainsi, la saveur des fruits et des légumes était d'un délice unique.

La renommée des cerises de cette région était tellement notoire qu'elles furent pour la première fois offertes au souverain de l'époque dans un panier artisanal fait de branches et de feuilles d'arbre appelées kelkha pour une dégustation d'honneur, ce qui leur a donné le nom de spécifique hab el moulouk un fruit de rang royal.

La montagne d'El Eubbed, Sidi Abdellah d'El bâal, a subi également une métamorphose, une fois développée et ainsi verdoyante, elle a reçu le nom additionnel de dj'neh lakhdar, signifiant l'aile verte.

Par ailleurs, quelques descendants s'étaient implantés dans les grottes à l'est d'El Eubbed agricole et y ont contribué avantageusement à son épanouissement.

Tlemcen a bénéficié depuis l'inhumation de Sidi Boumédiène de bienfaits matériels et immatériels colossaux. Tlemcen sera toujours redevable aux faveurs incommensurables de Sidi Boumediene. Que la paix éternelle l'accompagne.

Cette prouesse sur la nature est devenue un chef-d'œuvre vanté de bouche à oreille pour se répandre en un écho extraterritorial sur l'ensemble du Maghreb et bien au-delà jusqu'à atteindre en Europe.

*Docteur