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Un témoignage sur l'histoire de l'UGEMA

par Babak Amir Khosorovi*

Chers amis !

C'est un grand honneur pour moi de participer à cette cérémonie du 50ème anniversaire de la création de l'UGEMA.

Le jour ou j'ai rencontré pour la première fois dans le petit café parisien du quartier Latin, les fondateurs de l'UGEMA, il y a déjà un demi-siècle, je n'imaginais pas les conséquences que cela allait avoir sur ma vie. Le plus important pour moi, ce sont les liens d'amitié très profonds et durables, entre les dirigeants de ce mouvement estudiantin et moi-même. Amitié et solidarité qui se sont consolidées dans le combat pour la liberté et la justice. Je n'avais jamais cru que je serais en vie un demi-siècle plus tard et d'avoir le plaisir de rencontrer tous ces amis, qui, comme moi les cheveux blancs et la taille courbée, s'unissent et se rencontrent aujourd'hui. Merci camarades de nous fournir cette opportunité dans les meilleures conditions.

Quand mon ancien et cher ami M. Jamal Houhou m'a parlé de cet anniversaire et m'invita à y assister, en l'acceptant avec plaisir, je passais en revue ce demi-siècle de relation et me rappelais mes souvenirs. Parmi eux les circonstances de mon premier contact avec l'UGEMA qui méritent d'être rappelées.

A cette époque, je représentais l'Union des étudiants de l'université de Téhéran au sein de l'Union internationale des étudiants, dont le siège se trouvait à Prague. J'étais chef du département anticolonialisme qui avait été créé sur mon initiative.

Le congrès de l'UIE s'approchait. J'avais pour mission de me rendre à Paris pour contacter les organisations des étudiants des pays colonisés, les choisir et les inviter à assister au prochain congrès de l'UIE qui allait avoir lieu en septembre 1956 à Prague. Avant mon départ pour Paris, M. Serge Dépaquit, le représentant des étudiants communistes au sein du secrétariat de l'UIE m'a donné les coordonnées du défunt monsieur Inal. Inal était à ce moment-là, militant de la Jeunesse communiste algérienne et avait fondé l'Union générale des étudiants algériens ! Nous avions eu au secrétariat de l'UIE quelques informations ambiguës sur les étudiants musulmans algériens qui avaient fondé leur propre organisation. Ma mission était de les rencontrer aussi et de fournir un rapport sur la situation des étudiants algériens. Il faut rappeler qu'à cette époque-là, le mouvement de libération du peuple algérien était peu connu dans le monde. On était au début de l'insurrection du peuple algérien.

A Paris, Inal m'a présenté son organisation comme étant démocratique et ouverte à toutes les tendances politiques et les croyances religieuses. En apprenant mes intentions de rencontrer l'UGEMA, Inal parla de l'UGEMA en la définissant comme une organisation sectaire, se limitant aux étudiants de confession musulmane ! tandis qu'il décrivait son organisation l'UGEA comme étant ouverte à tous les étudiants sans discrimination. Inal argumenta qu'à la faculté d'Alger, les étudiants catholiques, musulmans et juifs cohabitaient ensemble, et que son organisation correspondait à cette réalité. D'après lui, l'UGEMA allait diviser les étudiants tandis que ce dont le mouvement avait besoin c'était l'unité ! À première vue, son raisonnement et son approche du problème semblaient logiques. Mais j'avais envie d'écouter les dirigeants de l'UGEMA.

Avec l'aide des responsables de l'organisation des étudiants d'Afrique du Nord, j'ai pris rendez-vous avec l'UGEMA. C'était notre sacré Réda Malek qui était au rendez-vous, en tant que secrétaire général de l'organisation.

Vous le connaissez mieux que moi. Malek, avec son allure imposante, sa voix puissante et vive et surtout sa forte logique dans son raisonnement, m'a fait réaliser l'essence de la problématique. Le mot «musulman», argumenta Malek, n'est pas motivé par un sectarisme religieux. Et n'est absolument pas une attitude de discrimination, vis-à-vis des autres. Il m'expliqua que dans la lutte de la libération nationale, l'islam est l'élément le plus important de l'identité nationale dans la lutte contre les colonialistes français catholiques. Et c'est un langage simple pour faire mobiliser les fellagas. Il a souligné que les portes de l'UGEMA sont ouvertes à tout le monde sans discrimination. J'ai eu une deuxième conversation avec Ait Chalaal. Les mêmes argumentations et raisonnements, mais un style différent. Un discours raffiné, nuancé avec calme, un langage diplomatique, qui a profondément pénétré dans mon cœur.

Pour moi, originaire d'un pays musulman, et qui venais de sortir d'un grand mouvement de libération d'un autre pays, le discours de Malek a résonné en moi. Ma décision fut prise sur le coup. J'ai senti comme une obligation morale de supporter ce mouvement étant engagé dans une lutte juste mais terriblement inégale. Mais je devais convaincre le secrétariat de l'UIE, tout le monde y étant communiste, représentant soit les organisations des étudiants des pays socialistes ou autres et étant a priori favorable à l'organisation fondée par M. Inal ! À cette époque, j'étais moi-même membre du parti Toudeh d'Iran, aussi communiste ! Que faire ? Je me retournais vers M. Inal avec l'espoir de le convaincre, de rejoindre l'UGEMA et de se mettre au service du mouvement de libération nationale. Mais en vain et sans résultat sur le moment !

J'ai appris quelques mois plus tard, que M. Inal rejoignit le FLN, sans consentement de son parti, et qu'il était devenu commissaire politique de la région d'Oran et qu'il est mort, arme à la main dans le champ de bataille, comme martyr de la révolution algérienne !

Mon rapport à l'UIE a fait l'effet d'une explosion ! Car je raisonnais et demandais que l'on n'invite que l'UGEMA, en tant que seul représentant des étudiants algériens au congrès de l'UIE ! Il n'y avait vraiment pas de mauvaise volonté chez les membres du secrétariat. L'insurrection du 1er Novembre n'était pas encore suffisamment connue et reconnue dans le monde. On en était encore à l'époque de l'Algérie française.

La réunion du secrétariat a été tendue, et suspendue par la suite. J'ai mis sur la balance tout mon poids de chef du département anticolonial, mais surtout c'était grâce à l'aide efficace de l'inoubliable défunt Jiri Pelikan, notre président, que j'ai pu faire accepter par le secrétariat ma conclusion. Pelikan était un homme prévoyant, remarquable, intelligent, ouvert, l'homme des compromis. Sa place est vraiment vide aujourd'hui parmi nous.

La présence de la délégation de l'UGEMA au congrès de l'UIE à Prague était, dans le mouvement mondial des étudiants, un évènement très important. Il ne faut pas oublier que l'UIE était la première organisation mondiale qui a reconnu l'UGEMA à une échelle mondiale. À ce congrès participait une délégation de l'UNEF pour la première fois, après plusieurs années de rupture de sa relation avec l'UIE. Je me rappelle la tension de l'instant quand la délégation de l'UGEMA monta à la tribune et prit la parole ! Au milieu de l'ovation des congressistes, la délégation de l'UNEF quitta la salle. Heureusement, leurs relations se sont améliorées par la suite. La présence de plusieurs anciens dirigeants de l'UNEF dans cette cérémonie du 50e anniversaire en est le témoin.

Sans doute la fondation de l'UGEMA et son entrée au sein du mouvement international des étudiants et son combat, dans les multiples rencontres internationales en défendant la cause du peuple algérien pour l'indépendance, et aussi pour celles de tous les autres pays opprimés, contribua à la prise de conscience des étudiants du monde entier, et tout particulièrement politisa les étudiants français et l'UNEF. Mon amitié avec les militants algériens commença ainsi et fut consolidée au fil du temps, dans notre combat commun pour l'indépendance de l'Algérie et la liberté de tous les peuples opprimés de l'Asie et de l'Afrique. Avec le temps, nos relations ont surpassé le stade de relation officielle d'un dirigeant d'une organisation internationale avec les dirigeants d'une organisation nationale. On devint amis, intimes, avec beaucoup d'affection et aussi de complicité pour résoudre les problèmes surgis dans les congrès et multiples rencontres internationales.

A titre d'exemple, cela s'est produit peu après à la Conférence des étudiants afro-asiatiques à Bandung ! Avec l'inoubliable défunt Ben Yahia, notre complicité s'est formée autour d'un problème crucial et très important pour nous, de faire passer une résolution condamnant le colonialisme ! Cela peut vous étonner. Mais c'était la délégation chinoise qui voulait l'éviter ! Leur raisonnement était simple. S'il y a opposition, même venant de la délégation d'un seul pays, il faut renoncer à la résolution. Car d'après les camarades chinois, le fait même de cette première rencontre des étudiants d'Asie et d'Afrique et l'expression de leur unité semblait être le plus important.

C'est en 1959 que j'ai eu le plaisir de rencontrer mon charmant ami M. Belaïd Abdessalam à Prague qui souhaitait mon aide pour résoudre certains problèmes importants des boursiers algériens dans les pays de l'Est. Mon attachement à la cause du peuple algérien et mon engagement à l'égard de l'UGEMA au sein du secrétariat de l'UIE était tel qu'un jour, M. Pélikan en rigolant me demanda : es-tu représentant de l'UIE auprès de l'UGEMA ou bien celui de l'UGEMA au sein du secrétariat de l'UIE ?

Me rappeler et raconter mes souvenirs avec d'autres dirigeants valeureux de l'UGEMA tels que Ait Chaalal, Jamal Houhou, Taleb, le défunt Khémisti, Abdelaoui, Hamdi et beaucoup d'autres, qui sont présents ici, serait long.

Mais je fais une petite halte sur quelques évènements surgis après l'indépendance de l'Algérie ! En 1963, je me trouvais à Moscou avec Ben Yahia ! Mais cette fois-ci, lui était ambassadeur et moi étudiant ! Il m'a aidé à faire expatrier vers l'Algérie une trentaine de mes compatriotes iraniens spécialistes dans les différents domaines, émigrés politiques sans papiers, qui ne supportaient plus de vivre dans ce soi-disant «paradis terrestre».

Il est à rappeler que Ben Yahia donna plus tard sa vite, tellement valeureuse, dans une mission de paix pour mon pays.

L'été 1964, je me trouvais en Algérie indépendante avec un faux passeport, car mon passeport iranien était confisqué par l'ambassade d'Iran en Tunisie; j'étais honoré par M. Jamal Houhou qui m'a procuré un passeport national algérien.

En 1969, après la tragédie du printemps de Prague, je n'arrivais plus à respirer l'air des pays «socialistes». Je voulais quitter la RDA pour m'installer à l'Ouest. Mon handicap, entre autres, était le piège tendu par la SAVAK en manipulant un dossier par l'Interpol, forgé de toute pièce, pour m'arrêter et me rendre aux autorités iraniennes ! J'ai pris le risque en prenant l'avion à destination de Paris ! Réda Malek, ambassadeur de son pays à Paris, en apprenant la nouvelle, vint accompagné de mon avocat, jusqu'au pied de l'avion avec l'intention d'intervenir au cas où l'on m'aurait arrêté à ma descente d'avion !

Au cours de mon procès à Paris, Réda Malek, en tant qu'ambassadeur de son pays, a écrit une excellente lettre, témoignant en ma faveur. Le même geste d'amitié et solidarité a été fait par Ait chaalal, lui aussi ambassadeur en Italie ! Je n'oublierais jamais ce geste de fidélité dans l'amitié et la signification de leur solidarité à un moment difficile de ma vie.

Chers amis ! Je vous remercie encore de m'honorer en m'ayant invité à assister à cet anniversaire si important et en me donnant l'opportunité de faire ce témoignage.

Merci et félicitations.

*(Ancien membre du secrétariat de l'Union internationale des étudiants-UIE)