Il y a seulement quelques semaines, on ne parlait pas
encore d'une maladie planétaire qui allait envahir le monde et saper ses
fondements des systèmes sanitaires, mais aussi sociaux, économiques et
sécuritaires. Le coronavirus, en sévissant dans notre vie, a créé de nouveaux
rapports, les gens adoptent un nouveau langage, pour le définir, l'identifier,
le palper avec des termes qui, eux aussi, nous viennent d'ailleurs, le produit
de nos craintes et incertitudes. Le code Covid-19 devient familier, on
l'explique. On le met à toutes les sauces, pour se convaincre et se rassurer.
Le corona circule, impose ses propres espaces de communication, tels des
élastiques, prenant plusieurs formes, en modifiant leurs angles d'approche, en
fonction de l'instant. Le nouveau virus ramène avec lui son vocabulaire savant,
des expressions sorties d'un quelconque laboratoire de recherche, pour étayer
des thèses ou infirmer des idées reçues. L'épidémiologiste, le sociologue, le
psychologue ou encore l'économiste, le politologue font dans les projections,
les analyses à chaud, afin de cerner quelque peu les contours d'une épidémie
qui a mis peu de temps pour nous faire admettre que le monde est au bord du
chaos. Depuis, la roue de l'histoire s'est accélérée, comme si une chose
d'anormal s'est produite. Les petites gens attendent qu'on leur dise que cela
changera, que le coronavirus disparaîtra comme il est venu. Faute de quoi, on
fait appel à nos pulsations intérieures, nos superstitions enfouies, dans nos
âmes, une sorte de fatalisme qui surgit de nulle part pour exorciser le mal.
Tels des remparts hermétiques dressés pour ne pas céder devant la panique.
A vrai dire, le coronavirus a transcendé les
frontières, cieux et océans, les convictions religieuses, la couleur de la
peau, ce qui nous sépare, tout simplement pour nous rappeler que le sort de
l'humanité pourrait basculer, si toutefois le genre humain feint d'ignorer les
gestes élémentaires de la solidarité. Le coronavirus a fait naître des mots
crus, une sorte de catharsis, qui donne à notre métabolisme sa dose d'espérance
et de vitalité. Une note d'espoir pour les centaines, les milliers, les
millions de contaminés, à défaut d'un vaccin ou d'un remède, dans l'immédiat.
Et puis, l'on continue notre farouche résistance pour que la victoire finale
nous revienne. On asperge les lieux publics de produits désinfectants, les
structures sanitaires mobilisées en la circonstance exécutent les actes
médicaux prévus, enquête épidémiologique, prise en charge et isolement
sanitaire obligatoire des cas suspects et confirmés, mais aussi lorsqu'il
s'agit de sensibiliser les citoyens sur les risques encourus, quand on baisse
la barrière protectrice. En attendant demain, la levée progressive de certaines
contraintes, pour que la vie reprenne son droit, en voyant ces milliers de
jeunes forcés de rejoindre les rangs des chômeurs, piaffent d'impatience,
sérieusement fauchés par l'inactivité, un garçon de café, un chauffeur
d'autobus, un restaurateur, ou encore des petits revendeurs à la sauvette, mis
dans de sales draps, justement à cause de ce virus de malheur.