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Ramadhan, confinement : et si l'on inversait les horaires ?

par El Yazid Dib

Je partage sans trop d'espoir cet avis d'un ami qui tient à suggérer aux pouvoirs exécutif et sanitaire confondus de réaménager les horaires du confinement. Ce confinement qui semble durer dans le temps nous case en nos tiroirs pour les 2/3 de notre existence quotidienne. Nous jouissons de 8 heures de liberté totale. L'on peut durant ce laps parcourir des centaines de kilomètres, aller de l'est d'un bout à son ouest, d'une région à une autre. En 8 heures l'on peut faire énormément de choses, tant nos énergies, nos marges de manœuvres le permettent. Mais au cours du Ramadhan, tout va s'estomper, se caser davantage et s'inscrire dans une somnolence qui, sans virus, serait tout de même plus que somnolente.

Crécher à 15 heures et le faire aussi après le f'tour va être une épreuve plus dure que le jeûne. L'habitude, là en ce mois est séculaire et n'a rien à envier à une simple mise à l'écrou. Et puis, à la levée du confinement à 7 heures du matin - et c'est très tôt - que faire ? Le vide à cette heure-ci se fera sans nulle injonction de confinement et la permission de sortir n'emballera pas trop d'agglutinations. Elle ne trouvera comme émules que des vendeurs sans trop d'acheteurs, des pigeons sans aucun arnaqueur, des feux rouges sans transgresseurs. Alors c'est une planche horaire vraiment creuse entraînant « un manque à gagner » pour ceux qui aspirent à cette liberté de mobilité conditionnelle.

En plus de ce qu'il contient comme nuits au sens sacré, celle du doute, du destin, des prières nocturnes (kiyem eleil), le Ramadhan n'est au sens humain et terrestre qu'une succession mensuelle de nuits. On y trouve chacun selon sa passion, sa croyance, sa concordance, une sensation d'harmonie et de réconfort.

Penser à ne pouvoir sortir après la rupture du jeûne est pris chez certains pour un double confinement. Une équivoque compréhension. On le redoute déjà. Les jeunes qui en ces moments dans certains quartiers essayent d'élargir leur lieu de confinement à quelques mètres de leur seuil, sur un banc de jardin public, une bordure de trottoir, à l'habitacle d'une voiture, trouveront énormément du noir (la nuit ?) à broyer.

Dans la vie antérieure, autrefois, bekri, jadis, avant l'apparition de cette saloperie, les nuits du Ramadhan n'étaient pas exclusivement dédiées aux prières subrogatoires ou uniquement aux rites d'une spiritualité. Elles étaient pour une partie de jeûneurs des moments de béatitude et d'atténuation. De regroupement, de visite, de convivialité, voire d'aération.

Alors l'avis de mon ami que j'acquiesce à mon tour sans être convaincu de sa réalisation est de renverser les choses. Autoriser les sorties de 20 à 04 heures du mat, soit de l'appel du maghreb à celui de fadjr. Ce qui au sens du désir de mon ami réduira fortement le « taux de sortie », pas de femmes, moins de vieux et d'enfants. Ainsi nous toucherons presque à un confinement quasi-total. Rendez-vous compte, le pays vivra en nocturne. Et les services publics, comment vont-ils fonctionner, la poste, la banque, l'état civil et autres indispensables aux citoyens ? ? mais nous avons des ministres, un gouvernement, c'est à eux d'apporter la réponse, ils sont faits pour ca, non ? me rétorqua mon intime, un peu gêné par la grosse problématique posée.

Oui, c'en est une. Lourde certes, compliquée mais éligible à la résolution. L'on peut creuser l'idée d'un plausible rééchelonnement de la plage horaire autorisée et la rendre plus décontractée en la scindant en deux phases - genre première et deuxième mi-temps - sans temps supplémentaire. Je ne sais pas trop. Ce que je sais par contre, c'est que je me place en attente de ce que feront les autres pays musulmans. Tout en rassurant mon ami de ne pas prendre pour point de fixation son souhait, car la frustration est plus redoutable qu'un effet de vœu demeurant à l'eternel inexaucé.