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Il n'y a pas que le coronavirus qui tue !

par Kamal Guerroua

Coronavirus, ô mon Dieu, quelle malédiction planétaire : bourse des morts et des prix, guerre des chiffres, guerre des médias, guerre des masques, etc. ! Mais une malédiction qui aura, peut-être, le privilège de rendre l'Afrique, mon pauvre continent, si célèbre ! Pas mal déjà riposteraient, sans doute, les spéculateurs de Wall Street ! Mais comment ?

Depuis un certain moment, on parle déjà, toute honte bue, du «continent-labo» pour trouver quoi à votre avis ? Le remède magique à ce salopard de virus ! En termes plus terre-à-terre, les Africains vont devenir, après bien entendu la traite négrière, la colonisation, les dictatures et sui generis, les cobayes préférés des grands de ce monde ! Ni la consternation de l'OMS et ses démentis officiels ni la médiatisation de l'affaire que certains prennent plutôt comme poisson d'avril, n'ont éteint la flamme de la rumeur. Faut-il en rire ou en pleurer ? Hélas, dans le cas de Mama Africa, les larmes sont la seule consolation contre les morsures du libéralisme sauvage...

Mais l'Afrique est-elle «éternellement» la seule à en subir les effets ? Non, les situations se ressemblent, et partout ce sont les pauvres qui paient les pots cassés.

En avril 2013 par exemple, plus d'un millier d'ouvriers ont été tués après l'effondrement de Rana Plaza, une usine de textile de huit étages à Dacca, la capitale de Bangladesh. L'indignation mondiale fut à son comble quand la presse a dévoilé les causes de la catastrophe : les ouvriers de Rana Plaza travaillent dans des ateliers aux murs gravement fissurés (destinés en principe pour l'activité commerciale), alors qu'ils vouent leur vie fragile à la fabrication de pantalons et de tee-shirts low cost à un rythme effréné, en échange d'un salaire d'un euro par jour, pour le compte de marques mondiales qui les vendent vingt ou trente fois le prix de production à la jeunesse d'Europe et d'Amérique.

Et le grand gagnant dans tout ça ? Sans doute : les multinationales qui sacrifient toute éthique, libéralisme sauvage oblige, au nom de l'argent-roi ! Et l'argent, comme tout un chacun le sait, n'a pas de cœur ni d'odeur. S'ajoute à ce terrible constat le fait que les autorités de Dacca sont corrompues et que le patronat local recourt aux services de milices mafieuses pour combattre toute action syndicale au sein de cette filière de textile. Résultat, les vrais coupables de l'hécatombe ont fui leurs responsabilités et l'indemnisation des victimes a traîné, en vain, pendant de longues années. Et n'était-ce l'intervention de plusieurs ONG humanitaires, aucun sou ne leur aurait été versé. Je suis sûr que mes lecteurs ne trouveront aucune différence entre les deux premiers exemples donnés et ces images, pour le moins «choquantes», relayées en boucle par de nombreuses chaînes télévisées, de centaines de sans-abris étendus à même le sol d'un parking public à Las Vegas, en pleine période de confinement à cause de la pandémie de coronavirus ! Le tiers-monde, je vous apprends peut-être une nouvelle chose, n'est pas seulement africain, asiatique, latino-américain, mais aussi européen, américain,... et capitaliste ! Quoique premier pays libéral dans le monde, les Etats-Unis sont, paraît-il, incapables de secourir dignement leurs pauvres «homeless» (leurs tiermondistes si j'ose le mot ici) alors qu'ils ont récemment déboursé 2 billions de dollars pour sauver leur économie en naufrage ! Qui plus est, inondent le marché mondial d'armes les plus sophistiquées !

Un marché florissant dont on récolte chaque jour les amers fruits en Irak, en Syrie, en Libye, au Yémen et partout ailleurs, avec des milliers de morts, de mutilés de guerre, des orphelins, des destructions, sans omettre le casse-tête de la crise des réfugiés.

Ironie du sort, les grands oubliés de la mondialisation-laminoir (ses cobayes aussi), qu'ils soient Africains, ouvriers Bangladais, pauvres américains ou réfugiés syriens, ne sont-ils pas les premiers à se rappeler, aujourd'hui, au bon souvenir de ces apôtres diaboliques du libéralisme ? Décidément, c'est le cas de le dire.