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Le Hirak au temps du coronavirus

par Paris : Akram Belkaïd

Commençons par répéter, et expliciter, un message déjà partagé sur les réseaux sociaux. Depuis le 22 février 2019, j'ai toujours soutenu le Hirak, défendant envers et contre tout sa rationalité politique, son exemplarité et son caractère historique. Et quand des voix défaitistes ont entonné la ritournelle du déclin et de la nécessité de tendre la main au pouvoir né de « l'élection » présidentielle du 12 décembre dernier, j'ai essayé, à mon modeste niveau, de faire entendre la voix de la poursuite de la mobilisation et du « on ne lâche rien ». Pour autant, en tant que membre de la diaspora, je ne me suis jamais permis d'émettre la moindre recommandation, le moindre conseil et encore moins une prescription, qu'elle soit politique ou pratique.

Depuis quelques jours, après avoir longuement travaillé sur la question de l'épidémie due au coronavirus Covid-19 - en interrogeant notamment des membres du corps médical mais aussi des chercheurs, je déroge à ce principe. Il n'y a plus lieu de tergiverser. Il n'y a pas de nuance ou de compromis à privilégier : Les marches hebdomadaires, celles du mardi, du vendredi et même du samedi, doivent absolument être suspendues. C'est une question de raison et de bon sens. La situation est simple : l'Humanité fait face à l'agression d'un organisme vivant particulièrement contagieux et pour lequel il n'existe encore ni traitement curatif ni vaccin. Ce qui s'est passé en Chine, ce qui se passe en Italie mais aussi désormais en France, notamment dans l'Est de l'Hexagone, va se répéter en Algérie. Croire que le pays serait immunisé grâce à je ne sais quelle raison relève de l'ignorance, du déni ou, pire encore, de l'affabulation dont nos dirigeants sont passés maîtres. Pour être clair, le wanetoutrisme ne sauvera pas le pays de la catastrophe !

Chaque jour passé sans prendre de mesures de confinement, de distanciation sociale (ne pas se rassembler, ne pas se serrer la main, ne pas s'embrasser) est un temps précieux de gâché. Le présent chroniqueur n'est pas médecin mais de formation scientifique. Il croit en la science, au progrès et en la parole des spécialistes. Quand la totalité d'entre eux, notamment des virologues, affirment que sans réaction vigoureuse de confinement, ce virus a de quoi anéantir une partie de la population mondiale, il faut les écouter. Je suis stupéfait de voir, qu'en Algérie, des ânes ? pardon pour les baudets ? parlent de choses qu'ils ignorent et que des « confrères » irresponsables leurs tendent les micros pour qu'ils répandent leurs conneries. Il y va ainsi de ce hmar qui prétend avoir trouvé le remède contre le virus. La mythomanie semble, elle aussi, épidémique. Et comment peut-on affirmer que l'Algérie possède des équipements médicaux qui n'existent pas en Europe ? Comment peut-on être inconscient à ce point ? La France, sixième puissance mondiale, pays où nos dirigeants et leurs proches se soignent pour la plupart, découvre qu'elle manque d'équipements, de produits et même de soignants. Et l'Algérie ferait mieux ? Nier le réel, le transformer, est la marque des régimes autocratiques et des incompétents. Souvent, ils sont les mêmes.

Demander la suspension du Hirak, ce n'est pas le trahir. C'est reconnaître que dans la vie, il y a des priorités, la première étant la (bonne) santé des gens. Bien sûr, la colère contre ce système est forte. Bien sûr, nous sommes tous travaillé au corps par cette tentation jusqu'au-boutiste, nihiliste diront certains, de faire coûte que coûte tomber ce pouvoir qui ne comprend rien, qui ne lâche rien, qui ne fait rien (sauf castagner les hirakistes) et qui ne sortira jamais, je dis bien jamais, l'Algérie de l'ornière. Comme le note le frangin de Ténès (protégez-vous les gars), il y a de l'esprit suicidaire des harraga dans cette marche de mardi. Qu'importe le risque, qu'importe le danger, « corona wellentouma » : le corona plutôt que vous ! Dans ce genre de circonstances, on se rend compte à quel point le pays manque de voix consensuelles, de voix de la sagesse qui pourraient porter car, on le sait bien, aucun éditorialiste, aucun chroniqueur, aucun activiste ne semble capable de faire entendre raison aux protestataires. Le pouvoir a créé le vide politique et culturel. Le pays en est pénalisé.

Le régime, lui, se frotte les mains à la manière d'un croque-mort qui sent venir de bonnes affaires. Pour lui seul compte la fin du Hirak. Ce qu'il ne sait pas, c'est que la colère reviendra et elle sera bien plus forte. Rendez-vous est pris après la fin de l'épidémie. Ceux qui lui survivront sauront exiger réparation. Car, autant le dire tout de suite. Il n'y a rien à attendre du pouvoir. L'épidémie qui vient sera un terrible révélateur de l'état réel de l'Algérie, la grande « œuvre » de Bouteflika et de sa camarilla dont certains serviteurs sont encore en poste. Le drame dans l'affaire, c'est que la population va encore subir les conséquences de décennies de désinvolture, d'incompétence et de corruption.