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Hommage au Professeur Yahia Guidoum

par Ghania Oukazi

  «Savez vous qu'en pharmacie un grand nombre de disciplines ne sont pas enseignées telle que la pharmacie industrielle qui elle-même se décline en plusieurs segments ?» interrogeait le professeur Yahia Guidoum, dans une interview qu'il nous a accordée en février 2018.

En ces temps d'alerte maximum au coronavirus, les propos du Professeur en orthopédie s'imposent comme un rappel urgent et impératif d'une réforme du système national de santé. « Ce qui est aussi un non sens quand on parle de créer et développer une industrie pharmaceutique nationale. Cela n'a rien d'étonnant quand on sait qu'il n'y a pas chez nous, depuis l'indépendance, de manière claire et identifiée ni faculté ni institut pharmaceutique alors que seule une véritable faculté ou un institut de pharmacie doté d'organes de réflexion et d'orientation adéquats est en mesure de structurer et organiser l'enseignement et les études dans ce domaine. Ce qui doit être le socle pour le développement d'une véritable recherche en sciences pharmaceutique, indispensable au développement d'une industrie véritablement nationale du médicament», affirmait-il. Décédé en son domicile, à Alger, dans la matinée du mardi dernier et enterré le lendemain à Constantine sa ville natale, le professeur Yahia Guidoum est parti sereinement. La triste nouvelle a vite fait le tour d'Alger. Très peinés, ses amis se sont retrouvés subitement à parler de lui au passé. Mais aucun d'eux n'a oublié de souligner qu'il a marqué les esprits par son humanisme, sa disponibilité, son humilité et sa générosité. A l'instar de nombreuses personnes qu'il a aidé, El-Hadja Bakhta d'Al Attaf lui sera redevable toute sa vie. Il a été plusieurs fois ministre, et aussi membre du Conseil de la Nation, mais ses longues vingt années, au service de ses patients à l'hôpital de Douera, à l'ouest de la capitale, l'ont consacré comme le médecin le plus apprécié dans le pays. Dans le service d'orthopédie où il faisait ses consultations et opérait, les malades s'accrochaient à lui comme à un sauveur. Guidoum ne se mettait jamais en colère, ne refusait aucun malade, ne savait pas dire non.

«Il est vrai que la mort est inexorable...»

Le Professeur n'hésitait pas à se déplacer auprès de ceux qui avaient besoin de lui, chez eux, de jour comme de nuit. Il était toujours souriant. Humain qu'il était, il «distribuait» son sourire comme une aumône à tous ceux qui, avant de le rencontrer, ont dû être rabroués par ces visages renfrognés et arrogants qu'on croise à l'entrée ou dans des couloirs d'hôpitaux publics et privés. « Non, ils n'ont pas le droit ! La grève est une rupture de contrat entre l'employeur et l'employé, la grève des médecins résidents en particulier pose un sérieux problème de déontologie. On ne peut laisser un malade attendre», avait-il lâché dans son interview. Il avait alors reconnu qu'« il est clair que les médecins résidents, tout au long de leur formation, soulèvent des problèmes particuliers. Ce sont cependant, des problèmes qui sont connus de leurs aînés formateurs. Ces derniers auraient pu, de manière préventive, éviter en leur temps, leur accumulation. En fait, c'est l'absence de coordination entre le ministère de l'Enseignement supérieur et celui de la Santé qui fait que les choses se compliquent(...)». Assia, l'infirmière qui a été à ses côtés jusqu'au moment où il a rendu l'âme ne voulait pas croire que celui qui a été très proche et à l'écoute des petites gens s'en est allé pour toujours. Ce jour-là, elle venait de couvrir son visage d'un drap blanc. «Il parlait jusqu'à la dernière minute, il était conscient...», nous a-t-elle dit entre deux sanglots. Elle le pleurait à chaudes larmes. Khaled, son chauffeur qui l'a accompagné, pendant de longues années, était lui aussi présent comme il l'a toujours été. Ceux de ses amis qui étaient arrivés les premiers à son domicile lui ont fait leurs derniers adieux. Il avait un visage serein, détendu, souriant... Il semblait reposé. Il est mort chez lui, dans son lit. « C'était un grand homme, j'avais retrouvé en lui le père que j'avais perdu quelques temps avant,» soutenait Assia. «Il est vrai que la mort est inexorable mais l'histoire humaine nous enseigne que l'autre vie l'est également pour ceux qui savent mourir,» écrivait Amar Zeghrar, en 2004. Celui qui a été secrétaire général à la présidence de la République expliquait que «l'éternité est amie fidèle de ceux qui choisissent une cause noble pour se fondre en elle jusqu'à y mourir et en mourir, le reste n'est que jactance et facétie de mauvais alois.»

«C'est injuste que ce départ se fasse alors que la rapine continue de sévir»

Décédé en octobre 2014, Zeghrar se comptait parmi les amis proches de Guidoum. C'est probablement leur clairvoyance et leur juste appréciation des situations mais aussi leur humilité qui ont fait qu'ils partagent un pan de cette vie aux côtés de Bakhti Belaïb, ce ministre du Commerce parti en janvier 2017, qui ne craignait pas le verbe juste et ferme. « La vie n'a plus aucune signification, je m'excuse d'être encore là alors qu'eux sont partis », nous avait dit Prof Guidoum le jour de l'enterrement de ce digne fils de l'Ouarsenis qu'était Belaïb. Nous l'avions contacté, en premier, parce qu'il connaissait bien le défunt pour l'avoir côtoyé au gouvernement mais surtout au RND. (Article paru le 28 janvier 2017). «Ils sont partis (Zeghrar et Bakhti ndlr) alors que rien n'a changé au RND, c'est injuste que ce départ se fasse alors que la rapine continue de sévir,» avait relevé Guidoum avec la gorge secouée par des sanglots. Dans son interview de 2018, cet ancien ministre de la Santé en avait disséqué le système national. Il soutenait que « les CHU sont actuellement le fait d'une organisation désuète et complètement dépassée». Pour lui, «la réforme hospitalière est une exigence». Il en avait donné «le mode opératoire». Il rappelait aussi que « depuis plus de 20 ans, il n'y a plus ou très peu de travaux pratiques organisés dans les laboratoires de la faculté de médecine, même dans les locaux flambant neufs de la nouvelle faculté de médecine d'Alger. C'est une véritable aberration». Il avait déploré le fait que «des centres hospitalo-universitaires qui n'ont d'universitaires que le nom sont devenus, pour leur grande majorité, des structures de santé publique. La recherche scientifique est absolument inexistante. L'élément indispensable à toute idée de recherche est représenté par les archives, hélas service inexistant dans tous les grands hôpitaux universitaires ». Il avait noté que «tout le monde sait que l'enseignement de spécialités vitales pour l'avenir de notre médecine n'est pas assuré. Des spécialités comme l'immunologie, la biophysique, la médecine nucléaire et bien d'autres, sont délaissées ou négligées depuis des lustres. Il est urgent de redonner aux sciences fondamentales leur véritable place dans le cursus des études médicales pour se hisser au niveau de la médecine universelle et préparer la médecine algérienne de demain». C'est là son dernier acte au profit d'un domaine qui avait fait de lui un orthopédiste de renom et qu'il a servi avec un grand cœur et une grande abnégation.