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Dossier énergie : Tebboune serait-il trompé comme l'a été Bouteflika ?

par Reghis Rabah*

Depuis son investiture il y a à peine deux mois, le président de la République a fait réunir le haut conseil de sécurité deux fois, certainement par l'urgence d'une actualité sécuritaire intense, une première fois lors des événements en Libye et celle du début de cette semaine le coronavirus.

Pourtant, le déclin et les contres performances de Sonatrach depuis fin 2017, le déficit de la balance commerciale par un manque d'exportation des hydrocarbures combiné à la baisse du prix du baril, restent plus menaçant pour réunir au moins une fois le haut conseil de l'énergie afin de tracer les grandes lignes stratégiques aux organes exécutifs qui n'arrêtent pas de rechercher des alibis pour faire marcher l'opinion publique par des faux-fuyants comme la loi sur les hydrocarbures et bien d'autres. Tout a commencé avec le départ du ministère de l'énergie de Chakib Khelil dont les méfaits sur le secteur de l'énergie sont pratiquement connus maintenant de l'opinion et qu'il conviendrait de ne plus les rabâcher encore une fois. Son remplaçant. Youcef Youcefi a hérité d'un secteur avec un déclin avéré devenu au fil des années chronique, un domaine minier peu ou plus du tout attractif, aggravé par une consommation effrénée du gaz en interne qui ponctionne les quantités de gaz exportées et donc affecte sérieusement et directement les recettes pétrolières qui mettent tout le pays en difficultés d'importer ce dont a besoin le circuit social et économique.

Rappelons que les exportations des hydrocarbures couvrent dans leur ensemble près de 97% des importions et par leur fiscalité contribuent à 65% au budget de l'Etat. Plus le temps passe voilà maintenant plus de 10 ans, plus la diversification, parade à cette situation tarde à venir et au rythme actuel si rien n'est entrepris dans l'immédiat, d'ici la fin de la prochaine décennie, il n'y aura rien exporter et par voie de conséquence rien à, importer sans un endettement extérieur qui obligerait l'Algérie à céder un peu de sa souveraineté pour les laisser d'autres la gérer. Que ce soit au temps de Youcefi ou Arkab aujourd'hui, faute de pouvoir maintenir une production et augmenter les réserves, parient sur la législation pétrolière seule à même de sauver le pays en espérant drainer les investisseurs qui augmenteraient les réserves pétrolières pour permettre au pays d'engranger des recettes plus importantes en vendant plus et enfin exploiter le gaz de schiste dont nous sommes la 3éme «ressource» mondiale, pas encore des réserves étant donné que la commercialité n'est pas encore démontrée.

Ce dernier étant une ressource dite non conventionnelle par son mode d'exploitation qui est l'utilisation intensive du forage et de la fracturation hydraulique, très controversée donc repoussé en fonction de la teneur de son débat. Au temps de Bouteflika comme c'est le cas aujourd'hui, on cherche seulement à évaluer son potentiel, son impact économique, social et environnemental voilà près d'une décennie sans y arriver.

Bouteflika avait autorisé Sonatrach de forer 13 puits pilotes dont uniquement deux ont été réalisés à Ahnet du côté d'In Salah avec la Française Total puis elle a abandonné pour que les deux soient terminés par Sonatrach, peut être chers étant données les circonstances sécuritaires mais semble-t-il bien terminés sinon techniquement réussis. Les deux puits ont donné chacun une production de 70 000 à 100 000 m3 /jourqu'il fallait laisser débiter au moins une année pour étudiera le déclin des puits et voir leur rentabilité économique par rapport à un gisement conventionnel. Il se trouve qu'en 2020, on apprend que rien n'a été fait puisqu'on répète aujourd'hui la même chose : évaluer le potentiel, telle la réponse qui a été donné par le ministre de l'énergie Mohamed Arkab le 25 février dernier lors de son passage à la chaine de la radio national 3. Nous lisons aussi dans le plan d'action du gouvernement Djerad que ce qui n'a pas été fait depuis 2014, se fera maintenant «s'agissant des hydrocarbures non conventionnel, le gouvernement, tout en intensifiant les efforts d'identification du potentiel que recèle notre sous-sol, engagera les études appropriées sur l'impact de l'exploitation de cette richesse sur le plan économique, social et environnemental en veillant à ce que toute exploitation envisagée préserve la santé du citoyen, les écosystèmes et, en particulier les ressources hydriques.» Cette orientation stratégique du gouvernement serait, du moins en entendant le premier cadre du secteur mal assimilée puisqu'il se confine dans les confusions, lesquelles confusions en créent d'autres au sein de l'opinion publique.

1- D'abord sur le concept lui-même qui peut prêter à une confusion manipulatoire

Le 10 novembre 2019, dernier, lors d'un point de presse à Tizi Ouzou, Mohamed Arkab ramène les ressources non conventionnelles à ce que la population appelle dit-il communément «gaz de schiste». Cette dernière appellation a été inventée par les medias sous un lobbysme étranger pour manipuler l'opinion publique sinon même le gaz conventionnel existe dans la roche Maintenant, si l'on se réfère à la classification géologique connue à travers le monde, on classe le non conventionnel en deux catégories : celle de la roche mère et celle de la roche réservoir. Dans la première catégorie, celui des roches mères, on trouve pour le pétrole le Tight oïl et le shale oïl,pour le gaz celui de houille dit dans le jargon pétrolier «coal bed méthane» CBM et l'hydrate de méthane enfin le gaz de schiste. En ce qui concerne la seconde catégorie c'est-à-dire la roche réservoir, on inclut pour le pétrole le Tight oïl, le sable bitumineux et le pétrole lourd et l'extra-lourd et pour le gaz, on trouve celui des réservoirs compacts, ce sont des hydrocarbures gazeux contenus dans des réservoirs très peu poreux et très peu perméables. Pour les produire, il faut stimuler le réservoir par fracturation hydraulique.Or, le potentiel du réservoir quartzites qui est estimé par le réservoir engineering de Sonatrach(PED) entre 5 et 6 milliards de barils utilise aussi la fracturation hydraulique, peut être «soft» mais budgétivore et y est pratiqué en Algérie depuis des décennies. Ces réservoirs très compacts, à eux seuls totalisent ce qu'a estimé l'Energy Information Administration (EIA), une agence américaine pour les six régions Algériennes susceptibles de produire de pétrole de schiste à savoir Ghadamès, Timimoune, Ahnet, Mouydir Reggan et Tindouf. Doit -on permettre demain, si l'on suit cette logique, que la population d'Ouargla ou celle de Hassi Messaoud proteste contre la pratique de la fracturation hydraulique à Amguid Messaoud par exemple ?

2- Confusion aussi autour du cinquième appel d'offre

Lors de cet entretien que le ministre a accordé à la chaine 3 qui l'a invité à l'occasion du 24 février coïncidant avec la double commémoration de la création de l'UGTA et la nationalisation des hydrocarbures, il a été annoncé que le cinquième appel d'offre sera lancé au 2éme semestre 2020 dès que les textes d'application de la nouvelle loi sur les hydrocarbures seront finalisés. Seulement, en évoquant les blocs, le ministre a parlé de 150 découvertes qui resteront prioritaires pour un partenariat qu'il qualifie de «win/win». Devrons-nous comprendre qu'il s'agit là du prolongement du cinquième appel d'offre qui aurait dû être lancé en 2017 par Alnaft sur 9 projets qui sont déjà contenus dans le portefeuille des réserves de Sonatrach qui y a dépensé au total en efforts propres et celui en association près de 1844 millions de dollars et comptabilisé en réserves 2P plus de 3295 millions de tonnes équivalents pétrole (Mtep) Si tel est le cas, le partenaire ne prend aucun risque et viendrait partager les réserves transférées dans le portefeuille de Sonatrach, qui, elle, a pris les risques. S'agit -il d'un apport partenarial uniquement pour un motif financier ? Auquel cas pourquoi ne pas s'adresser directement aux banques ? En somme faute d'un apport technologique ou une prise de risque, un partenariat n'a rien de «win» pour Sonatrach. Pourtant, le ministre n'a pas manqué de préciser que tous les secteurs disposent des investissements nécessaires pour réaliser leurs programmes. En évoquant Sonatrach, il a parlé de 8 milliards de dollars que le mastodonte devra prendre en charge d'ici 2024.il ne s'agit pas de travailler pour les autres dont le métier est de chasser les primes mais Sonatrach devra bénéficier d'un retour sur des investissements ou partager la production dans le cadre du partage de production avec des partenaires qui viendront prendre des risques avec elle. En quinze ans Sonatrach a transféré en 2P un volume plus de 2119,5 millions de tonnes équivalent pétrole (Mtep) et 3459,03 Mtep en 3P. Mais le palmarès ne s'arrête pas là car de 1986 à 2019, le mastodonte a investi en effort propres exploration 21888 millions de dollars avec des pics dépassant les 4 chiffres partir de 2008 début du déclin. Elle totalise le nombre de découvertes en efforts propres de 373. Elle a réussi jusqu'en 2016 à remplacer les réserves consommées par soit des transferts de nouvelles découvertes soit par une réévaluation des réserves hypothétiques en prouvées récupérables. Le niveau des réserves de 2016 est exactement le même que celui de 2005. Ce n'est qu'en 2017 que la baisse s'est accentuée de façon brutale. En plus les trois dernières années de 2017 à fin 2019, elle a eu 81 découvertes très marginales pour un montant investi qui avoisine 3740 millions de dollars. Ce sont en résumé des efforts énormes pour lesquels, il est quand même regrettable de laisser les chasseurs de prime en profiter, sachant que le partenariat n'a pas toujours été bénéfique. Les responsables successifs du secteur depuis 2017, n'ont toujours pas éclairé l'opinion quant à cette baisse brutale de la production.

3- L'approche de la consommation interne de gaz est très sommaire

Il faut préciser juste que Sonatrach a toujours intégré le PDG de Sonelgaz dans son conseil d'administration mais le contraire ne s'est jamais fait Il fallait attendre 2015, année durant laquelle le ministre en poste devait remédier à cette situation Noureddine suite à un conflit d'intérêt lors d'une résolution objet de litige entre Sonatrach et Sonelgaz car le PDG de cette dernière prenait sa défense tout en profilant de sa position de membre du conseil d?administration. Lorsque Mohamed Arkab parle de la croissance de la consommation interne du gaz qui a atteint en 2019, 43 milliards de m3 dont une vingtaine pour la génération de l'électricité, il ne dit pas d'abord qu'elle une conséquence directe de la Sonelgaz dont il est issu de sa stratégie unilatérale et non sectorielle qui consistait dans un choix de centrale à gaz pour générer l'électricité au lieu de celles combinées avec le charbon, fuel etc. Cela dit, s'il y avait une vision sectorielle, on aurait pu éviter ce qu'on vit aujourd'hui. Ensuite, il ne dit pas non plus qui consomme cette électricité ? Ce n'est certainement pas le citoyen lambda qui compte ses sous pour payer la facture d'électricité actuelle, Où vont les subventions que consent l'Etat chaque année et qui empêche Sonatrach de vendre son gaz au marché spot. Sans oublier que dans la courbe de consommation nationale à long terme ,ce sont les centrales électriques à gaz qui vont consommer la plus grande partie de la production gazière Pour ce qui est des unité Sonatrach, cette dernières avait commencé par régler définitivement le problèmes en débutant sur certaines de ses unités avec l'Italienne ENI d'utiliser les centrales photovoltaïques plus économiques, et permettant d'utiliser le gaz à l'exportation.

*Consultant, économiste pétrolier