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Collectivités locales, contrôle financier et justice: Les instruments se font attendre

par Ghania Oukazi

  Les autorités locales ont été instruites par le Premier ministre d'identifier les priorités de la relance économique et sociale de leurs collectivités sans que leurs missions et prérogatives ne leur soient clairement définies par la loi. Djerrad a choisi de le faire en l'absence d'instruments de contrôle efficaces et sur fond d'une nouvelle tornade d'incarcérations.

Soumis à une révision profonde depuis plusieurs années, le Code communal et de wilaya n'a toujours pas vu le jour. Les autorités locales continuent de naviguer à vue en l'absence de cadre législatif et réglementaire régissant leurs activités, leurs décisions et leurs instructions. Aidés par les P/APW et les P/APC, les walis ont aujourd'hui moins d'un mois pour classer leurs priorités et les présenter au Premier ministre conformément à son instruction de la réunion des 16 et 17 février derniers. Ils se doivent en parallèle d'activer toutes les niches fiscales locales pour permettre aux communes d'avoir des rentrées financières, aussi infimes soient-elles. Pourtant, la réforme fiscale n'a même pas été lancée. Depuis que la révision des Codes communal et de wilaya a été amorcée, il était question de rassembler tous les textes réglementaires dans un document appelé «Code des collectivités locales» sous-tendu par un Code fiscal unique pour les communes qui permettra aux P/APC de collecter l'impôt à la place de l'administration fiscale. Les 800 communes défavorisées dont a parlé le président de la République ont urgemment besoin de renflouer leurs caisses en boostant leurs recettes fiscales et encourager les activités créatrices d'emplois et de richesses. Les spécialistes précisent que les communes n'ont que deux importantes taxes, celle sur l'activité professionnelle (TAP) et la taxe sur la valeur ajoutée (TVA). L'inévitable question est d'où le président de la République va-t-il ramener les 100 milliards de dinars qu'il veut débloquer pour relancer l'activité économique des collectivités locales alors que l'Etat manque d'argent.

Fonds arabes sur fond de divergences politiques

Abdelmadjid Tebboune a eu déjà à affirmer que l'Algérie pourrait avoir des prêts à de faibles taux sur le long terme auprès de la Banque africaine de développement (BAD) ou des fonds arabes. La visite éclair lundi de l'émir du Qatar, si elle est en évidence dictée par des impératifs politiques tout autant que les contacts avec les Emirats Arabes Unis ou le déplacement hier pour trois jours du président Tebboune en Arabie Saoudite, pourraient largement plaider en faveur de cette option. Ceci, en gardant à l'esprit que l'Algérie n'a jamais troqué le règlement de questions d'ordre géostratégique - comme la crise libyenne et syrienne - contre des intérêts matériels. Les profondes divergences qui l'opposent à ce sujet aux pays du Golfe laissent penser à des retournements de situation ou tout au plus à des compromis qui devraient prendre forme lors du prochain sommet arabe prévu à Alger comme annoncé mardi dernier par l'Emir du Qatar.

Le retour de la Syrie à la Ligue arabe sur demande d'Alger figurera en évidence dans ces agendas algéro-pays du Golfe qui viennent d'être (r)ouverts.

La relance du partenariat économique et des investissements entre eux a elle aussi une place prépondérante. Mais l'option des prêts telle que présentée par Tebboune laisse les financiers sceptiques. «On appelle ce recours l'endettement extérieur qu'un pays devrait toujours éviter pour ne pas tomber dans la spirale de la dépendance financière de l'extérieur ou pour ne pas être mis sous conditionnalités», soutiennent-ils. A moins que les décideurs actuels pensent à (re)mettre en marche la planche à billets «et ce sera la pire des décisions !», s'exclament-ils. Quels que soient les moyens de financement des programmes sectoriels que le Premier ministre veut élaborer et mettre en œuvre, ils seront utilisés en l'absence de mécanismes de contrôle, d'évaluation, de suivi et de transparence. Les pratiques de corruption l'attestent fortement.

«On ne sait pas comment procédera Djerrad pour établir un planning de l'utilisation de ces 100 milliards de dinars et sur combien de temps, ni sur quelles bases va-t-il faire leur décompte», demandent des banquiers.

La théorie du chaos

D'autres reviennent au contexte national actuel et pensent qu'«il serait illusoire de penser que des détenteurs de capitaux vont investir alors que ni les lois encore moins les garanties ne sont claires». Pis, ils trouvent curieux que l'appareil judiciaire continue d'emprisonner des hommes d'affaires qui, s'ils avaient été mis sous contrôle judiciaire auraient été plus rentables pour le pays. «Ils garderont leurs entreprises en activité, préserveront les emplois et paieront leurs impôts, l'on se demande que gagne le pays en les mettant en prison et à leur donner à manger gratuitement», indiquent des juristes. «Il est connu que, de par le monde, avant d'incarcérer des responsables politiques ou des hommes d'affaires accusés de corruption, si les chefs d'inculpation retenus contre eux sont avérés et prouvés, les magistrats négocient avec eux leur peine sous condition de rembourser le plus d'argent détourné possible» affirment nos sources. «Tant qu'ils sont en liberté (provisoire), ils peuvent signer des chèques et rendre l'argent qu'ils ont pris y compris celui transféré à l'étranger illégalement » expliquent-ils. Les observateurs pensaient qu'après la première vague d'incarcération, l'Etat ne refera pas la même erreur et tentera de récupérer ce qui a été pris illicitement en contrepartie de peines allégées. Mais l'incarcération tambour battant de Metidji, il y a quatre jours, semble augurer d'une nouvelle vague de déferlement au parquet. Dans le même sillage, celui qui a ordonné de menotter le patron du groupe Ennahar et de le faire entrer au tribunal devant tout le monde contredit le président de la République quand il plaide pour «Une Algérie nouvelle sans corruption et sans haine». Il nourrit surtout dangereusement les germes de la haine comme l'ont fait ceux qui ont décidé de donner l'heure exacte du passage des camions cellulaires dans lesquels les anciens Premiers ministres, ministres, hauts responsables et hommes d'affaires ont été amenés pour être incarcérés à la prison d'El Harrach. Ils ont frôlé le lynchage dans un pays où l'islam est consacré par la Constitution comme religion de l'Etat.

L'effet domino

La construction d'un Etat de droit oblige au respect de la personne humaine et de son droit indéniable et sacré à la présomption d'innocence. Les responsables du secteur de la justice qui avaient rendu publiques les dates de leur placement en détention, de leur procès et de leur transfert de la Cour suprême vers El Harrach en ont bafoué les principes fondateurs que l'Algérie peine à mettre en place. Ils ont failli à leurs obligations de « justiciers équitables et respectueux de la loi ». L'odeur nauséabonde de règlements de comptes empeste le dédale des pouvoirs militaires et politiques et risque de précipiter le pays dans le chaos. La sphère économique en pâtit dangereusement. Ce pourrait accentuer la hausse du taux de chômage, la baisse dans la collecte des impôts, la dégradation des conditions de vie des citoyens et autres pénuries de produits alimentaires par un effet de domino qu'induira inévitablement la déstabilisation du secteur privé. Brandi par les magistrats, le chef d'inculpation «financement illicite de la campagne électorale de Bouteflika» pourrait causer des ravages dans les milieux d'affaires privés puisque tous les patrons affiliés aux organisations patronales existantes y ont contribué avec une part d'argent de leurs fonds propres?

Bien que les corrupteurs et les corrompus de petit gabarit continuent de défier la loi, de miner l'administration publique et d'empoisonner l'existence des citoyens honnêtes, la suspicion, l'appréhension, la crainte de représailles à tout moment, la défiance et autre sentiment de malaise se sont répandus très rapidement dans les milieux d'affaires et aussi chez les cadres de la nation. L'attentisme et l'immobilisme en sont devenus la règle dans les institutions et les entreprises. L'on s'interroge sur qui a intérêt à laisser l'Algérie braquée sur ce qu'entreprend bruyamment un appareil judiciaire resté longtemps silencieux y compris devant les plus grandes dérives de la décision politique.