«Le
temps, c'est de l'argent !» C'est ainsi que les Anglais décrivent cette grande
machine qui accouche de nos vies. L'horloge ne pardonne, en effet, aucun
instant, tout passe à la calculette, à la seconde près. C'est pourquoi, disent certains, il
faudrait faire attention et ne pas se laisser écraser par le rythme vorace du
temps ! Or, autrefois, c'est tout autre chose : les humains avaient, dit-on,
largement du temps. Mais est-ce ce temps-là qui a changé, ou c'est sa valeur ?
Au Sahara par exemple, les Touaregs se contentent de regarder le soleil et
suivre ses mouvements, pour se situer dans le temps. Le goût pour la vie paraît
alors plus naturel, car il y a toujours cette impression, combien douce, qu'on
vit dans la spontanéité, en osmose avec la nature et le monde alentour. Une
théière à la main, un Touareg prend tout son temps à verser du thé dans des
verres et profiter au maximum, sous une tente toute banale, de la discussion
avec ses proches et ses amis. Ce plaisir, à nul autre pareil, prend toute sa
valeur lors des tempêtes de sable, quand les gens du désert restent, parfois,
des semaines entières cloîtrés dans leurs tentes. Le bonheur d'être en groupe,
dans le giron de la grande famille, entouré par les siens n'est en rien
comparable à cette angoisse secrétée par la société moderne, individualiste et
rongée par le culte de l'intérêt et le matérialisme. Peut-on imaginer, à titre
d'exemple, ce scénario «désertique» dans une grande ville comme Alger, Paris,
Frankfurt, ou Washington, où tout le monde, atteint de «la maladie de la
bougeotte», a peur de perdre son temps et de le gaspiller «pour rien» ? Presque
de l'impossible ! Un connaisseur de la vie du Sahara m'a assuré récemment, non
sans une certaine vanité, que plus personne ne connaît mieux la valeur du temps
qu'un Touareg ! Et pressé par mon insistance pour en comprendre le secret, il
m'explique qu'outre le temps artificiel qu'on vit dans les grandes villes, les
Touaregs vivent parallèlement deux autres temps, autrement plus importants !
Étonnant ! «Mais lesquels ?» Un temps spirituel qui les maintient en dialogue
permanent avec eux-mêmes et un autre géométrique qui les met en contact direct
et durable avec la nature. Voilà le mystère du bonheur ! Ce qui manque, sans
doute, à beaucoup d'entre nous, aujourd'hui...