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L'échec du professionnalisme dans le football: L'ASM Oran, un cas d'école

par Mustapha Mohammed-Brahim

Lorsque les instances algérien nes du football, sous la pression de la FIFA, ont décidé de lancer au pied-levé le professionnalisme du sport roi, elles étaient parfaitement conscientes qu'elles allaient naviguer à vue et ne pouvaient alors qu'espérer que les dégâts ne seraient pas trop importants.

Ce fut durant le mandat de Raouraoua, un homme connu pour sa capacité de lobbying, sa connaissance des réseaux du monde du football mais aussi des réseaux sociopolitiques internes.

Ce monsieur était intelligent, perspicace, fin stratège, connaissant parfaitement la sociologie de l'Algérien. Il avait dès lors tout misé sur l'équipe nationale, laissant la professionnalisation du football se mettre en place de manière spontanée, au gré des humeurs des uns et des autres, de leur degré d'opportunisme, de leurs capacités de manœuvre, de leurs accointances avec divers centres d'influence, diverses sphères de décision. En 2010, l'Etat avait besoin de toutes les «bonnes volontés», le football et ses foules étant une belle affaire.

Une nouvelle forme de rente est alors venue se greffer à celles qui existaient déjà et ce fut la curée.

Des personnes, pour la plupart sorties de nulle part, se sont engouffrées dans ce trou béant, créant ce qu'il était convenu dès lors d'appeler «sociétés sportives par actions» et sont devenues de facto propriétaires des clubs de football de ligues 1 et 2. Au fil des saisons, et même si certains clubs mythiques du football national ont réussi à se maintenir dans le gotha africain, la quasi majorité des clubs s'est retrouvée à patauger aussi bien sur le plan sportif que sur le plan de la gestion dont l'opacité, délibérément entretenue, ne permettait aucune visibilité. Les effets ont été désastreux. Les détournements de subventions accordées par le ministère des Sports, les wilayas et les communes, censées être destinées aux sections amateurs, sont devenues la norme de financement des clubs professionnels.

La traçabilité de leurs utilisations, quant à elle, n'est jamais clairement mise en évidence tant les bilans comptables et financiers ne sont jamais probants, quand par bonheur il leur arrive d'exister.

Quel est donc l'apport de ces fameux «repreneurs» de clubs? Quel est leur apport tant en terme de financement qu'en terme de projet, projet sportif, voire même projet d'entreprise ? On n'en sait rien, mais au vu de ce que vivent les clubs professionnels, force est de reconnaître que la déliquescence a atteint des sommets inégalés.

Les salaires impayés, les grèves cycliques des joueurs, les turnover des entraîneurs, les batailles rangées opposant les dirigeants, quelquefois diffusées sur les chaînes TV, les marches et manifestations organisées par les supporters, donnent des relents aux allures maffieuses des championnats de football en Algérie.

Les instances de football, voire même l'Etat, préfèrent regarder ailleurs. Les dérives collatérales ne sont pas en reste, pour preuve, les «arrangements» de matchs épisodiquement dénoncés.

Ce qui s'est passé à l'ASM Oran ces derniers jours, une curieuse grève de joueurs lors d'un match décisif pour l'accession en ligue Une, est à notre sens le parfait cas d'école pour illustrer la situation dramatique que vit le sport roi en Algérie. Voilà donc un club mythique du football national, un club qui, sans pour autant avoir décroché le moindre titre en 90 ans d'existence, n'en force pas moins le respect des connaisseurs du football.

C'est un club formateur qui a de tout temps alimenté les équipes nationales toutes catégories, mais aussi les grosses écuries du football national. C'est aussi un club qui fait partie du top 10 des équipes en termes de participations au championnat de première division depuis sa création en 1963.

C'est un club chargé d'Histoire. Il a été crée par d'authentiques nationalistes en 1933 pour porter la voix de la lutte contre le colonialisme, un club qui a vu dans ses rangs de nombreux moudjahidine et autres martyrs de la révolution.

Ce club, dont la valeur incorporelle est certainement hors de prix, à l'instar donc des autres clubs de ligues Une et Deux, a fait l'objet d'une transformation en société par actions capitalisée, donc rachetée pour une bouchée de pain en 2010, par des individus devenus d'emblée actionnaires. Même si cette opération s'est passée dans des conditions d'une opacité incroyable, certaines sources avancent des chiffres de l'ordre de 300.000 à 500.000 DA en apport initial par actionnaire.

Quand par ailleurs l'on sait que certains actionnaires sont depuis toutes ces années en même temps salariés de la société et grassement rémunérés, il y'a des questions qui interpellent.

Et lorsque, par ailleurs aussi, l'on sait que jusqu'à présent, les quasiment seules ressources du club restent les subventions de l'Etat et des collectivités locales, l'on est en droit de se demander à quel titre des dirigeants d'un club professionnel perçoivent leurs rémunérations sur le dos du contribuable. Mais qu'à cela ne tienne, quels ont été les résultats ?

Depuis sa «prise en otage» par ces individus, soit plus de 10 ans aujourd'hui, l'ASM Oran patauge dans le ventre mou du classement de division 2, à l'exception d'une accession miraculeuse en ligue 1, pour deux saisons, en 2015.

L'ASM Oran, réputée pour son école et pour sa philosophie de jeu, s'est retrouvée infestée par des recrues venues des plus petites divisons, malléables, manipulables et très enclines à accepter «les règles du jeu» désormais en vigueur dans le club. Certaines indiscrétions font part de pratiques à faire froid dans le dos.

Non-gestion donc, gabegie, opacité, pratiques occultes, autant de facteurs qui font qu'aujourd'hui le club joue à domicile devant des gradins quasiment vides, les supporters ayant baissé les bras. Mais, plus important que cela, les sponsors et autres investisseurs potentiels qui, pourtant, seraient prêts à s'engager durablement dans un projet sportif porté par le deuxième plus grand club de l'Ouest, de surcroît représentant une métropole méditerranéenne d'importance, répugnent à s'associer, voire seulement négocier, avec des personnes qui n'ont plus aucune crédibilité, si d'aventure ils en ont eue un jour.

Les derniers évènements survenus lors de la rencontre de samedi dernier contre la JSM Bejaia révèlent on ne peut mieux la déliquescence de la gestion de l'ASM Oran. Si la grève des joueurs peut sembler légitime eu égard à la non-perception de leurs salaires depuis des mois, la manière dont a été appréhendée la question par les dirigeants est quant à elle pitoyable. Une partie des dirigeants s'est carrément inscrite aux abonnés absents quand l'autre partie s'est chargée de gérer l'affaire, selon le témoignage de certains joueurs, à la manière des barbouzes.

Ce qui est cependant surprenant est le silence des autorités. La crise actuelle couvait depuis longtemps et l'on se demande comment les autorités de la ville ne se sont pas senties interpellées par la mort programmée d'un club faisant partie du patrimoine mémoriel d'Oran. Comment ce club qui représente tout un pan de l'histoire sportive d'Oran et dont la valeur incorporelle est inestimable, s'est retrouvé pris en otage, sans que cela n'interpelle personne, par un groupe d'individus sans ressources, sans aucun encrage dans le monde sportif, sans compétences avérées au point d'en arriver à ce triste constat.

Ce qui est dramatique est que le cas de l'ASM Oran n'est qu'un cas d'école. La majorité des clubs algériens connaissent plus ou moins le même sort. Il y va de l'intérêt du football national que de regarder de plus près ce qui se passe de sordide à l'intérieur des bâtisses des clubs de football. C'est, encore une fois, à faire froid dans le dos.