Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

Un cadeau empoisonné du nouvel an !

par Bouchikhi Nourredine*

L'entame de cette année n'augure rien de bon en matière de mesures fiscales pour certaines catégories de professionnels à l'image des médecins libéraux. loin de fuir leur responsabilité citoyenne de contribuable c'est l'instabilité permanente de la réglementation qui est pénalisante car, au lieu de prêcher pour l'efficacité et la simplicité, elle tend plutôt à rendre la vie dure surtout aux médecins qui devront dorénavant faire des déclarations mensuelles au régime du réel, ce qui ne manquera sûrement pas d'alourdir le vécu déjà compliqué pour bon nombre d'entre eux et ne manquera pas d'avoir des répercussions sur la qualité des prestations envers leurs patients.

En effet la nouvelle loi de finance vient de classer les établissements de santé sans distinction entre cliniques, hôpitaux privés et petits cabinets dans le même sac aucune différence entre une grande structure disposant de grands moyens dans un grand centre urbain et un médecin installé dans une contrée lointaine et ceci sans prendre en compte le chiffre d'affaire réalisé même s'il est modeste à croire qu'un cabinet médical est obligatoirement une activité très lucrative une vision qui ne reflète guère la réalité d'aujourd'hui avec la multiplication des prestataires et surtout la paupérisation d'une frange de plus en plus importante de la société.

Jusqu'en 2019 les cabinets étaient soumis à l'impôt forfaitaire unique (IFU) instauré il y a à peine quelques années et qui loin d'être idéal avait le mérite de simplifier les déclarations qui pouvaient se résumer à trois au maximum et même une fois au minimum selon les modalités choisies par le déclarant.

L'autre point positif c'est que l'IFU voulait réparer une certaine injustice fiscale car il prenait en considération la difficulté d'avoir des preuves concernant les différentes dépenses sachant que les achats relatifs au matériel,services ou bien consommable ne sont dans la plupart des cas jamais accompagnés de factures, les fournisseurs refusent de les délivrer pour beaucoup d'entre eux sans que le médecin souvent en raison des pénuries ou pour éviter que son matériel ne soit à l'arrêt n'a d'autres choix que d'accepter le fait accompli ; il était presque impossible de se faire rembourser la TVA réelle en dehors de celle relative aux charges de consommation d'eau et d'électricité et quine représentent pour la majorité qu'une infime partie des dépenses.

Par ailleurs certaines dépenses pourtant nécessaires ne sont pas prises en considération par l'administration fiscale par exemple l'achat d'un véhicule indispensable pour se rendre à son travail ou aller au chevet d'un patient ou bien dans le cadre d'une formation et qui ne constituent pas un justificatif suffisant pour être pris en considération alors qu'un commerçant disposant de moyens conséquents pourra amortir régulièrement l'achat et le renouvellement de son véhicule.

Participer à un congrès qui s'avère indispensable pour être à jour surtout à l'étranger nécessite le recours au change parallèle ; comment pouvoir alors justifier ces frais ?

On peut citer beaucoup d'autres exemples où le médecin ne pourra justifier la récupération de taxes dont la TVA (taxe sur la valeur ajoutée) et que le médecin est obligé par la réglementation de ne pas faire ressortir dans les documents remis au malade et qui d'ailleurs n'aurait jamais dû exister ; puisque qu'elle valeur ajoutée engendrerait un acte médical ? En plus cela apparente l'activité médicale à une entreprise commerciale ! une aberration héritée de l'ancien système.

Mais le plus pénible dans tout ça c'est d'être obligé de se déplacer aux services des impôts au minimum une douzaine de fois par an! Sans compter les fois où il est nécessaire de demander un relevé du chiffre d'affaires, un extrait de rôles ,la déclaration de l'IRG (impôt sur le revenu global) alors que ces formalités ne sont pas accessibles par voie électronique comme c'est le cas par exemple pour les déclarations auprès des caisses de sécurité sociale la CNASAT notamment qui mérite des félicitations pour les efforts consentis dans la simplification des déclarations par l'usage de l'internet ; de même qu' avec l'ancien système déclaratif (G50) les déclarations étaient au moins trimestrielles.

La précipitation avec laquelle une telle décision a été prise et qui a soulevé le courroux de toutes les professions libérales a mis dans l'embarras l'actuel gouvernement qui a travers une note consultable sur le site de l'inspection générale des impôts a pris une demi-mesure en gelant l'application à l'IFU mais tout en maintenant la déclaration de l'impôt sur salaire devenue mensuelle alors qu'elle était trimestrielle ! C'est donc du pareil au même, le médecin devra quand même chaque mois remplir un formulaire et se déplacer pour le remettre souvent pour une somme dérisoire !

Les médecins n'auront donc guère le choix que celui de devenir abonnés à l'administration fiscale au lieu de se consacrer à leur travail pénalisant ainsi les malades qui devront subir les conséquences des retards ou absences sans compter le stress engendré par la répétition à court terme de ce qui va devenir un rituel.

L'autre choix c'est celui de recourir aux services d'un comptable et si cela ne posera aucun problème pour une structure importante commeune clinique qui compte plusieurs employés et qui disposedes moyens pour pouvoir s'en offrir un ou plusieursce n'est pas le cas par ailleurs pour beaucoup de médecins dont les cabinets tournent à minima, ce sera des charges en plus et qui ne peuvent être percutées sur les malades par ces temps de crise. Charges qui vont devenir de plus en plus lourdes avec l'augmentation des taux de l'IRG et probablement par l'augmentation annoncée du SMIC. L'attractivité du secteur libéral après celui du public ne sera qu'un lointain souvenir. Ces cabinets qui déchargent l'état d'énormes frais salariaux et qui ne bénéficient d'aucune aide ne serait-ce que la revalorisation des actes médicaux par la sécurité sociale qui n'ont pas été actualisés depuis des décennies au grand daim des médecins et des malades et qui font travailler des secrétaires, des infirmier-e-s, des assistants auront du mal à gérer financièrement et administrativement toutes ces contraintes.

L'ancien gouvernement et à leur tête l'ex-premier ministre et ex ministre de l'intérieur après avoir matraqué les médecins résidents et déclenchant ainsi un véritable exode des spécialistes laissant le secteur public exsangue de compétences s'est attelé à finir une sale besogne en s'attaquant aux libéraux qui à leur tour pourront répondre aux chants de sirènes de l'Europe ou des pays du Golf.

Les promesses de l'ancien éphémère ministre d'encourager les médecins à s'installer dans les déserts médicaux par des incitations fiscales ne seraient donc que de la poudre aux yeux.

En fin de compte une loi de finances concoctée par un gouvernement illégitime et adoptée par une assemblée non moins légitime sans avoir consulté les principaux concernés est finalement un cadeau empoisonné pour l'actuel gouvernement qui devra promptement rectifier le tir en considérant les doléances des médecins et leurs réserves justifiées pour le bénéfice de tout le monde.

*Dr