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Dans la nuit de la prison d'El-Harrach

par Amine Bouali

«Je me demande si les gardiens de cette prison qui est aujourd'hui mon sort se comportent avec moi comme avec les autres détenus, ceux de droit commun par exemple. Je suppose qu'ils ont dû recevoir des instructions pour adopter à mon encontre une attitude qui tienne compte aussi bien de mes anciennes hautes fonctions que de ma situation actuelle peu reluisante. Dans ma cellule, je retourne le problème dans tous les sens : je n'arrive pas à comprendre ce qui m'est arrivé. Des fois, je me dis que ce n'est qu'un mauvais rêve et que je vais bientôt me réveiller.

Les différents bruits du pénitencier, qui varient d'une heure à l'autre, rythment désormais mes jours et mes nuits. Dehors, la vie continue sans moi. Là où je me trouve à présent, je ne décide plus de rien, je ne donne plus d'ordres à personne. A l'intérieur de ma tête, les réquisitoires ont remplacé les louanges, les huées les acclamations. Moi qui étais un seigneur, j'attends maintenant mon tour au parloir. Moi qui étais quelqu'un, je suis devenu un matricule.

Pourtant, tout le long de ma vie, je me suis battu pour être une personnalité. J'ai cultivé les relations importantes, j'ai négocié les soutiens qui comptent, j'ai servi les forces influentes du moment, quitte à retourner ma veste plusieurs fois. Dans les postes que j'ai occupés, j'ai peut-être été inique et partial, mais je n'ai fait qu'appliquer la règle fluctuante, la loi incertaine du pouvoir arbitraire.

L'argent, l'autorité, les privilèges : je me croyais inaccessible et même irréprochable. Mais selon la justice qui m'a condamné, ce n'était rien d'autre que de la rapine, de l'aveuglement, de l'égoïsme criminel. Qui aurait pu imaginer qu'un jour ce peuple d'éternels mécontents allait se soulever et faire trembler la terre sous mes pieds ? Face à son jugement, toutes les raisons que je peux invoquer pour justifier mes actes me paraissent dérisoires. J'espère que mes enfants seront cléments avec moi ».