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Un «débat» qui manquait de débat

par El Yazid Dib

«J'en apprends souvent plus en suivant des débats entre journalistes qu'en écoutant des politiciens prisonniers de formules toutes faites» André Dussolier

Ce n'est pas un débat. C'est un entretien globalisé. Des entretiens individuels réalisés en même temps et en même espace. Aussi peut-on dire qu'on était en face d'un débat non contradictoire mais comparatif.

Le cadre est certes agréable mais manque de jovialité et d'aisance. Tout le monde semble être pris par un air d'embarras, une espèce d'inconstance. Ils étaient là, alignés sans se regarder, chacun enfouis dans le creuset de ses sources d'inspiration. Ne pouvait-on pas faire mieux dans la gestion de l'édition qui ne peut académiquement être qualifiée de débat que de se limiter à poser la même question pour la répéter encore cinq fois ?

Cette discussion individualisée sous forme d'un débat crapahute, sue, peine et arrose aussi de sa morosité les journalistes obligés d'être stupides. A force de devoir poser et reposer la même question. Certains ricanaient sous cape. Les candidats qui attendent, s'apprêtent à concevoir déjà la réplique à la première question posée au premier interrogé. Drôle de scénarii. A part un décor hirsute, aucun art scénique n'est à relever dans la production ou la mise en scène. Des images plein écran, le peu de vue d'ensemble, furtif.

Quant à l'essence du «débat», aucune question n'était pertinente ou gênante, juste des généralités sur des sujets communs. L'on ne pouvait voir se défiler une question difficile à même de rendre la réponse difficile. L'institution militaire, la gestion sécuritaire, le sort judiciaire de Bouteflika, nul mot. Le Hirak, sa densité, sa persistance ont fait un subreptice renvoi tout simplement cité dans la littérature de la notion de liberté et ses différentes expansions. La dimension tamazight tant louée n'est plus un sujet fréquentable.

Ah la jeunesse ! On en parle du haut de son âge sans vouloir d'abord lui céder la place. Seul Bengrina a osé à sa faveur déclarer sa honte à se porter candidat sans pour autant choisir le retrait. Il avait ainsi mis en dérision, sinon attirer l'attention sur les deux candidats qui lui partageaient le podium et se copartageaient à eux seuls deux siècles moins quart. Belle prouesse à double gain. Crier au handicap chronobiologique et bénir une jeunesse à l'écart.

Au lendemain et en l'absence d'instituts de sondage, ce sont les cafés, les réseaux sociaux qui ont fait le travail. L'analyse, l'évaluation n'ont été que des avis personnels basés essentiellement sur des affinités subjectives. Chacun loue son favori. Chacun vilipende son adversaire. L'on targuait Tebboune maître en économie, nul en politique, Benflis brillant avocat de sa propre personne, Mihoubi d'un arabe châtié, Belaïd de politicien manquant d'expérience étatique. Alors ?

L'on dira en finalité qu'il n'est pas de l'apanage d'un «débat» télévisé de créer un Président d'une république qui en cherche l'un des meilleurs. Oui, en son fond le «côte à côte» au lieu du «face à face», est un gage d'égalité de chance. Mais ne traduit nullement un entretien d'embauche présidentielle plus qui leur est un premier examen oral pour une chorégraphie nationale. Tout ce qui a été débité est connu et a été ressassé par eux-mêmes et de façon itérative. Le téléspectateur averti ne tendait pas son oreille mais son zoom visuel, son vif œil pour éventuellement déceler des tics, des mimiques. Il y avait ainsi chez certains un air pas tout à fait naturel. Qui n'est pas compatible à leur état originel, il ne leur est pas inné. Ils faisaient le jeu des cameras, ils jouaient à la télévision. Chacun prenait l'auditoire qui pour un panel de fonctionnaires, qui pour une classe d'élèves en droit, qui pour une assemblée de jeunes étudiants d'antan, qui pour des poésiades, qui pour des rangées de fidèles. Voyons venir le second «débat» du second tour.