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Hiraks de tous pays, unissez-vous !

par Djamel Labidi

L'ingérence étrangère n'a jamais et nulle part résolu un quelconque problème. La liste est longue des pays où elle a abouti à des catastrophes humaines: Irak, Afghanistan, Libye, Côte d'Ivoire, Syrie, Yémen, etc. Le scenario est toujours le même: elle commence par le thème de la solidarité et de la défense des droits de l'homme et elle finit par le fer et le feu. Ces deux dernières décennies ont vu les résultats sanglants des théories sur l'ingérence humanitaire, sur le «droit», ou le «devoir d'ingérence». Elles ont laissé partout des guerres civiles, des peuples exsangues, divisés, vidés de leurs capacités autonomes à régler leurs problèmes.

Les tentatives d'ingérence, à part les cas de subordination totale à l'étranger, sont en général relayées par des groupes ou des individus dont les liens avec leur pays se sont distendus, et la conscience nationale affaiblie. Ceux qui cherchent à les justifier, sous une forme ou une autre, ne font que prouver leur manque de confiance dans les capacités de leurs peuples, et leur isolement dans leur propre société. En ce qui concerne l'Algérie, il faut constater objectivement, qu'il y a eu, aussi bien du côté des autorités que de l'opposition démocratique nationale, une position ferme et unanime contre toute ingérence étrangère, sous quelque forme que ce soit.

Ceci exprime la force de l'unité et de la conscience nationales telles que révélées par ce grand mouvement historique qu'est le Hirak algérien. Elles se sont notamment traduites par cette alliance solide entre le peuple et son armée républicaine, dès que celle-ci puise ses repères dans l'armée de libération nationale. Cette alliance n'a laissé, jusqu'à présent, aucune faille aussi bien à la violence qu'aux ingérences externes. Ceci est un acquis précieux pour tous les Algériens, quelles que soient leurs opinions et positions sur l'issue de la crise actuelle, car là est le véritable consensus dont on parle souvent et qui permettra, tôt ou tard, s'il se maintient, de dépasser cette crise. Il y a eu, pourtant, et brusquement, ces derniers temps, des voix étrangères qui se sont élevées pour protester contre des «atteintes aux droits de l'homme» qui se seraient produites en Algérie. Ces voix sont françaises. Il y a eu d'abord une déclaration du ministre des affaires étrangères français, Mr Le Drian, qui, en insistant sur le respect de libertés démocratiques en Algérie, peut laisser entendre à contrario, malgré ses précautions verbales, qu'elles ne seraient pas respectées actuellement. Mais il y a surtout la résolution adoptée le 28 Novembre par le parlement européen sur incitation de députés français. Cette résolution ne se contente pas de donner les habituelles leçons, jamais suivies par leurs auteurs, sur les droits de l'homme. Elle dicte elle-même sa solution à la crise politique actuelle en Algérie et elle adresse une véritable injonction à la nation et à l'État algériens de l'appliquer.

Il s'agit d'une atteinte grave à la dignité du peuple algérien.Il s'agit d'évidence de tentatives de soumettre le mouvement populaire algérien, le Hirak, à des influences extérieures, comme cela avait été fait dans les années 2010 concernant les mouvements populaires dans le monde arabe, pour empêcher une sortie de crise qui consolide à la fois la démocratie et l'indépendance nationale. Cette résolution du parlement européen est malveillante et ne peut prendre que cette signification. En effet, l'objectivité, les bonnes intentions, auraient dû consister, non pas à se précipiter dès l'apparition de quelques signes inévitables de tension dans l'évolution de la crise démocratique en Algérie, mais à s'interroger et réfléchirsur l'essentiel, c'est-à-dire les raisons du maintien du caractère pacifique du mouvement populaire algérien depuis 9 mois.

Les Hiraks dans le monde

Cette réflexion pourrait être utile pour tout le monde et singulièrement pour l'opinion en France ou la gestion de la crise démocratique, apparue avec le mouvement des «Gilets jaunes», a été toute autre, et marquée par une violence considérable, notamment des forces de l'ordre.

Il y a aussi tous «les Hiraks» dans le monde qui nous invitent à la réflexion sur cette crise démocratique qui touche tous les continents, les vieilles démocraties comme les nouvelles.

Il y a ce qui s'est passé au Soudan, en Serbie, en Ukraine, ce qui se passe en France, au Chili, en Bolivie, en Irak, à Hong Kong, au Venezuela, en Colombie, au Liban, ou d'une manière générale d'ailleurs les évènements ont été violents. Voilà un débat qui aurait été bien plus utile au sein du parlement européen. Face à un tel mouvement dans le monde, il est bien dérisoire de voir la question par le petit bout de la lorgnette en termes de lobbying et, plus grave, de maintien de zones d'influence.

Quelle est la part des causes globales et des causes locales dans ces Hiraks. Quelles sont les raisons des similitudes, de l'unité pourrait- on dire, de ce mouvement historique inédit qui traverse le monde: durée dans le temps, revendications démocratiques nouvelles, rencontre en son sein de toutes les couches et catégories sociales, rôle de l'Internet ? Quels en sont les points communs et les particularités dans chaque pays? Quelle est l'influence de la révolution technologique actuelle ? Autant de questions et bien d'autres qui s'imposent aujourd'hui à la réflexion intellectuelle. C'est à cette réflexion à laquelle devrait s'attacher les intellectuels, les hommes de culture dans le monde qui se reconnaissent dans ces mouvements populaires, dans ces «Hiraks». Et pourquoi pas une grande rencontre internationale à Alger sur ce thème du «Hirak dans le monde» ?

Qu'on songe à ce que pourrait apporter une telle rencontre de diversités et de variété nationales, de compréhension de chacun, d'enrichissement réciproque, et d'unité dans ce qu'il y a de commun, c'est-à-dire humainement de meilleur, dans chaque Hirak, ainsi que, d'ailleurs, de mobilisation intellectuelle contre les ingérences étrangères.