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Fake news et démocratie

par Fouad Hakiki*

Nous traversons une drôle de période. Alors que la presse internationale s'inquiète de l'évolution de la situation politique en Algérie, des commentateurs avisés pointent - sans préciser de quoi il s'agit exactement - des publications sur les réseaux sociaux qui seraient trompeuses, mensongères ou tendancieuses. Lutter contre cette désinformation est bénéfique pour tous ; encore faut-il donner la « vraie » information, celle qu'on croit devoir prévaloir dans l'opinion publique. Rien qu'à propos des arrestations (selon leur nature : corruption ; politique ; opinions) touchant des généraux-majors ou des moudjahidines ou des dirigeants politiques ou militants civils du Hirak ou citoyens s'exprimant sur les réseaux sociaux, quels propos tenir pour atténuer cette psychose virale - peut-être gonflée par des fake news malveillants ?

Les journalistes de métier, connus de longue date pour le sérieux de leur plume, se penchent rarement sur ces faits. D'une part parce que les avocats de la défense s'expriment ouvertement sur ces dossiers ; et d'autre part parce qu'il leur serait difficile d'informer sans avoir à prendre position sur le bien-fondé de ces arrestations au vu des règles démocratiques ou procédurales prévalant au plan judiciaire. Cette tragique lucidité des faiseurs d'opinion laisse ainsi libre cours à toutes les spéculations. L'observateur n'aura alors qu'à se tourner vers ces dernières, essayant de démêler le vrai du faux, sans pour autant être certain d'être dans le vrai.

Nous sommes donc face à un champ miné : on ne parle pas, on est complice ; on parle, que dire ? Les condamnations de principe de ces arrestations n'est pas une excuse pour ne pas correctement informer le public sur les pièces versées aux procès, les tenants et aboutissants de chaque type de dossier ainsi de suite. En vérité, le grand public ne cherche qu'une chose : que reproche tant exactement à un tel ou un tel ? Et quels sont les faits précis attestant de la véracité des accusations ? Un cas exemplaire : Louisa Hanoune ; la justice à Blida a retenu contre elle quatre chefs d'inculpation, dont « complot ayant pour but de porter atteinte à l'autorité du commandant d'une formation militaire » (article 284 du Code de justice militaire) et « complot pour changer le régime » (un acte prévu et puni par l'article 77 du Code pénal).

De ses propres aveux, la responsable du Parti des Travailleurs - mais néanmoins députée - a participé à une réunion « consultative d'une heure environ » à la résidence Dar El Afia le 27 mars 2019 avec le frère du président déchu - mais seulement une semaine après ces faits - et l'ancien et le nouveau patron des services de sécurité. Le contenu exact de cette réunion n'a jamais été dévoilé ni lors des jours du procès (23 septembre et suivants) ni par les familles, amis ou avocats. L'on sait seulement par les déclarations des accusateurs qu'il aurait projeté de chercher suite à l'explosion du mouvement populaire du 22 Février des remplaçants aux deux piliers - civil et militaire - de l'Etat algérien. Les avocats des accusés Saïd Bouteflika, Louisa Hanoune, Mohamed Mediene et Athmane Tartag ont interjeté appel du jugement prononcé, le 25 septembre, par le tribunal militaire de Blida, les condamnant à 15 ans de prison.

Ce dimanche 20 octobre 2019, Mme Zohra Drif Bitat, notre grande Moudjahida a lancé un appel au nom du comité national pour la libération de Louisa Hanoune, « aux Algériennes et au Algériens, à tous les partis, syndicats, organisations, personnalités ... attachés à la démocratie et au multipartisme afin qu'ils expriment leur opposition à l'arbitraire et au totalitarisme en cosignant cet Appel pour exiger : 1-La libération et l'acquittement de Louisa Hanoune et de tous les détenus politiques et d'opinion ; 2- L'arrêt des politiques liberticides et toutes les mesures répressives ; 3- L'arrêt de l'instrumentalisation de la justice ; 4- Le respect des libertés fondamentales (liberté de manifestation, de presse, de circulation, d'expression, d'opinion...) ».

Alors la question que chacun se pose est celle de savoir si effectivement Mme Louisa Hanoune a comploté (mais alors de quels moyens dispose t-elle pour une telle tâche?) ou ne s'agit-il en fait que d'un alibi pour - nous dit-on - faire taire toute opposition rejetant le cahier de charge des tenants actuels du pouvoir (élections du 12 décembre et/ou reconduction du système) ? En somme, où est le fake news ? Et qui alors désinforme ? Puis surtout en vue de quoi ?

Dans notre démocratie si singulière - puisque nous faisons comme si ses trois pouvoirs (législatif, exécutif et justice) étaient séparés, nous poussant ainsi à croire qu'il serait possible que le recours (afin d'interjeter une condamnation, par exemple) puisse aboutir - le citoyen ne sait pas vers qui se retourner pour être informé de ses droits légitimes. Même la défense légale - le corps des avocats prenant à bras le corps les requêtes les plus saugrenues de leurs clients - est dépourvue de force de frappe pouvant contrer les magistrats instructeurs ...recevant des ordres d'on ne sait qui (et d'avec quelles prérogatives).

Ainsi si aujourd'hui Mme Louisa Hanoune a peu de chance (comme par ailleurs tous les détenus liés au chamboulement de l'ordre étatique depuis le 22/02/19), de se faire entendre dans seulement ses droits de représentante élue par le peuple, c'est que malgré le Hirak notre société civile n'a pas encore atteint le stade d'être un contre-pouvoir, fort de par sa structuration et ses propositions. Ses ripostes à travers des marches (et les vendredis et mardis mais aussi dimanches) ne suffisent plus non pas parce qu'elles sont pacifiques, ciblées et de plus en plus radicalisées mais parce que ce saut qualitatif vers l'organisation tant des revendications que des hommes qui les incarnent tarde à venir. Laissant libres de leurs mouvements les forces de la contre- « révolution du sourire » avec leurs fake news, leurs arrestations et leurs...téléphones.

Tout cela indique que le changement radical (1) de notre jeune démocratie n'est pas qu'une affaire d'institutions et d'équilibre des pouvoirs (à l'instar des démocraties occidentales évoluées). C'est un processus d'acquisitions global émanant de nos racines dans les luttes sociales et politiques, depuis un siècle, face à l'oppression sous quelque figure qu'elle se présente. Ce n'est pas par hasard qu'aujourd'hui nos jeunes ont la claire conscience qu'ils continuent le combat des libérateurs de notre nation : « ils ont libéré la patrie ; nous libérerons le peuple ». Or le combat n'est pas le même. Et il n'utilises pas les mêmes moyens. Mais il risque de durer plus longtemps.

Un philosophe du XIXème siècle disait en constatant que l'Histoire évoluait du « mauvais côté » mettant hors-circuit les tenants du pouvoir, que ces derniers avaient néanmoins une avance sur leurs protagonistes : une prise de conscience plus aiguë des changements qui advenaient.

Cette élection du 12 décembre n'est pas qu'une fake news, une désinformation mensongère en vue de dévoyer le mouvement populaire de sa revendication principale (« système dégage ») mais peut-être aussi l'expression d'une impuissance face à l'engrenage des situations conflictuelles internes (Hirak, luttes des clans, règlements de comptes...) et externes (guerres aux frontières, parapluies de défense - Trump qui s'énerve face aux commandes algériennes aux Russes- ...), comme s'il fallait siffler un temps de pause...pour remettre les choses à plat. Si tel est le cas, le futur nominé pour la présidence ne peut être issu du sérail politique.

Car, malgré la date fatidique du 26 octobre (date limite de dépôt des dossiers à la candidature), ce nominé ne peut être qu'au dessus de la mêlée afin de pouvoir enjamber les futures étapes de cette transition dans la transition (vers une 2ème République), en instaurant la paix civile (en particulier par l'élargissement de tous les prisonniers politiques et d'opinion), en ouvrant le dialogue national avec toutes les forces sociales de la « révolution du sourire » notamment les jeunes, et en remettant rapidement l'économie en marche face aux défis de l'après-pétrole et au chômage des jeunes diplômés.

Cette transition (dans la transition vers la 2ème République) se doit d'être limitée dans son mandat et ses attributions. L'on ne peut imaginer qu'elle durera cinq (05) ans, ni qu'elle s'attribuera les prérogatives présidentielles (telles que définie par la constitution actuelle). Elle ne peut que s'insérer dans l'esprit du « système dégage » en mettant en œuvre de façon la plus large possible les doléances politiques tant de la rue algérienne que des différents forums, conseils, rencontres voire instances ayant accompagné le Hirak depuis huit (08) ou dix (10) mois. Une tâche donc complexe qui impose une équipe, un programme et un échéancier. Qu'aujourd'hui aucun des candidats à la candidature, quelle que soit son aura ou sa popularité, n'a encore proposé. C'est en cela que cette élection apparaît à tous au mieux comme une fake news et au pire comme une mascarade c'est-à-dire contraire au souffle démocratique dont se sont imprégnés les Algériennes et les Algériens.

(1) Voir notre propos dans le Quotidien d'Oran http://www.lequotidien-oran.com / index. php? news =5282533&archive _date= 2019-10-19

*Economiste