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«C'est à vous de décider»

par El Yazid Dib

Pierre Corneille disait dans l'une de ses œuvres «C'est à vous de choisir mon amour ou ma haine». L'instance chargée de l'organisation des élections dit « C'est à nous de choisir». Confusion pronominale.

Accroché sur des panneaux publicitaires destinés par vocation à la promotion d'un produit ou d'un service commercial, ce slogan, loin d'une citation semble tendre à bien vendre et écouler une opération électorale qui nécessiterait autre chose qu'une criée orthographique. Convaincre, débattre, s'ouvrir et sourire davantage, sont les meilleures campagnes et l'utile marketing politique. Si cela faisait partie des attributions légales de l'instance de devoir booster le taux de participation, il lui aurait été judicieux, comme un candidat non candidat, d'aller vers un électorat absent, indéfini, hésitant. C'est dans ce creuset inépuisable que se trouve la masse. Si parfois l'hésitation est une preuve du manque d'argument, elle peut se prévaloir cependant d'être aussi une preuve de réflexion et de tempérament. L'indécision ne mène pas uniquement à l'impasse, elle tend à un abandon de responsabilité. Le vote est donc une action à triple étape. Aller, choisir et enfin décider. Si l'acte « aller » est toujours une liberté intacte, « choisir » reste limité alors que « décider » est une autre affaire.

Restons un peu dans ce « choix » sur lequel le slogan instantiel est bâti. En fait, tout choix provient d'une déduction, d'une réflexion, d'un calcul ou d'une évaluation. Il ne pourra s'exercer que dans la diversité et la multitude de l'offre. Le menu, l'étalage ou la panoplie des objets ou des sujets. Ainsi, à ce stade-là, il ne peut accéder à la phase de décision.

Quant à ce pronom personnel de « nous » dans « c'est à nous de choisir », il provoque une équivoque sur son identification. Qui est ce « nous » ? L'instance productrice de l'affiche ? Est-elle une grande électrice exclusive ? Représente-t-elle tout le corps électoral ? Puisque l'on comprend aisément qu'en tant qu'expéditrice, elle s'adresse évidemment aux autres ; le « vous » aurait été plus adéquat et potable. L'on ne peut faire de la substitution des pronoms personnels, une affaire personnelle ou institutionnelle.

C'est dire à l'instance d'éviter de confondre les rôles des sujets et ne pas s'asseoir sur les hypothèses. L'élection est la satisfaction d'une opération politique. Son essence demeure la consécration, par la légitimité populaire, d'un « vainqueur » après avoir franchi l'écueil de la passion, la foi, l'adhésion de l'autre et son attraction. C'est aussi un outil concurrentiel qui permet, sans effraction ni violence, à quelqu'un d'élu une position affranchie de tout vice, fraude et en pleine et loyale compétition démocratique. C'est enfin une épreuve libre dans le choix indépendant et la décision personnelle des hommes, des programmes et d'un avenir. Comme le pouvoir incarne l'un des principaux buts à atteindre par le biais des urnes, quand il n'est plus possible de l'avoir par la force, l'enjeu devient aussi dangereux que la revendication pour l'alternative dans le commandement politique.

C'est à chaque candidat qu'incombe le rôle d'ameuter les troupes, à l'instance de veiller au respect des voix, du choix et de la décision.

Qu'il soit « nous » ou « vous », difficile équation linguistique en somme ; il ne s'agirait que du peuple. Un peuple de génie et de miracles, ne cesse-t-on de clamer. Les constitutions successives, les chartes, les plateformes, les déclarations, les charmeurs de foules, les amoureux populistes s'en réfèrent, s'en émeuvent et s'en confessent sans pour autant lui consacrer en réalité une vérité à crever l'œil. Ce peuple ne serait chez certains qu'un monde de voix à conquérir, une société anonyme à gérer.