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DISTORSION SOCIALE

par Abdou BENABBOU

Ce dernier vendredi, il y eut des marches encore. Le leitmotiv reste le même exigeant toujours l'effacement de la scène politique de quelques personnes parce qu'elles auraient été artisanes de la profonde crise qui étrangle le pays. Pour tenir la route, l'incontestable légitimité d'une telle requête doit cependant être élargie à deux ou trois générations car il s'agirait plutôt d'exiger le départ d'un pan entier de la société qui s'était complu dans une culture de vie irrationnelle applaudissant avec une mauvaise conscience calculée et mesurée le défilé des chefs que l'on lui imposait.

Affirmer avec légèreté que la force de la baïonnette avait imprimé un parcours et une marche à suivre serait occulter qu'une majorité de la population avait adhéré avec une certaine complaisance à une corruption tapie qui ne disait pas son nom. Peu de patriotes d'une honorabilité sans faille, s'accrochant vaille que vaille à un civisme et une civilité sans faille, n'avaient pas accepté de se plier à une règle de vie qui transportait le pays vers la ruine. Le reste avait fait siennes, parfois avec fougue et ténacité, les successives chansonnettes des aléatoires révolutions que le pouvoir politique avait imposées, sûr que le monde était un paradis qui ne demandait qu'à être peuplé d'anges et de fées.

Le résultat est ce que l'on sait. Se contenter de fixer un œil sur la face apparente de l'iceberg est d'une naïveté absolue. La distorsion sociale n'est pas uniquement une histoire de sommet corrompu, mais il s'agit d'une énorme excroissance où tout le monde ou presque, bon gré mal gré, a été impliqué.

De fait, il ne s'agit plus de demander à un Gaïd Salah ou à un Bedoui d'abandonner les commandes et on a sans doute tort de se précipiter pour affirmer que le pouvoir absolu est aux mains de l'armée. Le vrai pouvoir est diffus et il s'est installé depuis un temps aux coins des rues et au pas de chaque porte pour que chaque Algérien soit de plus en plus tenté d'imposer sa propre loi.

Il reste que les seuls qui auraient sans conteste le droit de crier leur rage et leur amertume seraient cette jeunesse dans la désespérance dont l'avenir a été hypothéqué par les générations d'avant et d'après l'indépendance.