Lorsque je l'écoutais parler, il me semblait que c'était quelqu'un
qui ne faisait que débiter des mensonges, tellement ses histoires sont
invraisemblables les unes que les autres. Derrière ce visage lumineux au dessin
pur et harmonieux de mon ami algérois, il y avait un je ne sais quoi
d'exceptionnel. Peut-être, dirais-je, au risque de me tromper, un petit brin de
malice mêlé à la légèreté mélancolique, typique des hommes de la Méditerranée.
Incurable optimiste, il me répétait sans cesse qu'il ne fallait ni pleurnicher
sur son sort ni dramatiser, mais seulement relativiser. Regarder la vie comme
si elle est un géant arc-en-ciel dont chaque couleur est une nuance, formant
partie du décor général et servant de complément à la nature. S'y immerger,
c'est se sauver, en goûtant à tout ce que l'instant nous livre de surprises,
bonnes ou mauvaises fussent-elles, sans rechigner ni râler. Savoir goûter à la
vie, c'est savoir se construire, c'est savoir encaisser les coups et en tirer
des leçons utiles pour continuer de résister après chaque chute, en disant :
malgré tout, je suis toujours debout. Savoir goûter à la vie, c'est s'accepter tel qu'on est et garder la tête haute dans
toutes les circonstances, tout en surveillant ses pas, car, pour mon vieux
copain, c'est important de savoir d'où l'on vient pour se frayer un chemin là
où l'on va. La boussole de la vie, me conseilla-t-il hilare, est purement
spirituelle, son foyer est dans le cœur et si le cœur se trompe, eh bien, tout
pourrit décidément! D'où ce besoin de parler en
permanence avec son cœur, pour qu'il puisse éclairer de sa lumière notre
cerveau. S'il n'y a pas ce dialogue avec soi-même, il y aura forcément un échec
en perspective, selon mon ami. Beaucoup de gens échouent parce qu'ils ne se
parlent pas, ne se communiquent pas, ne dialoguent jamais avec eux-mêmes et
aussi avec les autres. « Si tu veux, mon fils, le cerveau est le moteur et le
cœur, c'est le carburant, l'un ne peut fonctionner sans l'autre. Puis, les deux
doivent marcher en concordance, sur la même ligne» «Tu veux dire quoi par là Ammi Moh?» « C'est simple
mon fiston : peux-tu imaginer un moteur à essence marcher avec du fioul et vice
versa ? » « Non! » « Eh bien, c'est exactement ça !
Chaque être, chaque chose, chaque saveur, odeur ou couleur a sa place précise
dans la vie et savoir les organiser et les placer en ordre dans sa tête, permet
d'éviter l'anarchie des sens. Et si l'on évite cette anarchie-là, on est sûr
d'être relatif, et qui dit relatif, dit ne pas voir tout en bloc, sans
distinguer les parties et les particularités des choses, ne jamais craindre la
pluralité quand elle est source de richesse et d'amour, ne jamais tomber dans
le piège du stéréotype et des jugements hâtifs sur soi-même et sur les autres.
Bref, savoir aller au-delà de ce que l'on voit : sentir ce que l'on pense et
penser ce que l'on sent, comme dirait un grand philosophe».