Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

L'ivresse du pouvoir

par El Yazid Dib

La cession du pouvoir n'est pas chose facile. Tout pouvoir excessif meurt par son excès, dit-on. Le pouvoir a, en permanence et à travers les âges, provoqué des dénis et des dénégations. C'est rare où il s'obtient avec aisance et sans obstacles. Les grands conglomérats de la société, partis, personnalités ou entités se sont toujours trouvés à l'orée de chaque transmission de rênes dans une situation fortement délicate. Obligés, ces acteurs jouent le rôle, d'un côté ou d'un autre, et parfois la mise est mise en échec. Le dernier clash dans l'harmonie déjà précaire des cieux d'Alger démontre bien l'enjeu en question. Le coup est parti très fort cette fois-ci. Le Hirak révolutionnaire n'a été l'entreprise de personne. Il est venu des cavités profondes d'un peuple que l'on avait agenouillé. Ce Hirak a fait voler en éclats le cafouillage et le brouillard qui juchaient au sommet. Certains parlent de séisme, d'autres de reconfiguration systémique. L'essentiel, le pouvoir depuis la nuit des temps a été un facteur de division. Chose qui faisait dire à un célèbre écrivain, Maurice Druon, que «le fractionnement du pouvoir est la plus sûre manière d'en empêcher l'abus».

Le mouvement s'est ainsi inscrit dans la feuille de route que tout doit changer, rien ne sera comme avant. Personne n'est sans comprendre l'essence de ces grands changements. Malheur aux vaincus, lorgnent les sans-avis, honneur aux vainqueurs, tancent les mêmes avis. Et l'impact des obus, des éclats, leurs vrombissements, les chairs déchiquetées, l'apocalypse seront encaissés et subis par qui croyez-vous ? Dans certaines guerres du genre, il ne peut y avoir que des triomphateurs et les battus sont toujours les mêmes. Ceux qui sont loin de la scène du choc, ceux que l'on a gommés, éloignés. C'est comme dirait l'autre, quand deux éléphants se cognent, ce sont les fourmis qui s'écrasent. Le pouvoir a été à longueur de temps l'ingrédient le plus combustible pour attiser les feux de la rampe et séduire l'audimat. Il tente parfois vainement mais toujours finalisant à enraciner la foi de sa vérité dans le crâne des masses déboussolées. Ce pouvoir qui enivre, charme et suscite l'envie à satiété n'en finira jamais de faire de l'euphonie souhaitée un champ de guerre où le bon ou le mauvais périront sans balles. Comme des volatiles qui s'ergotent dans un ciel serein, alors que les rémiges déplumés et les toupillons arrachés s'abattent telle une colère sur une terre pourtant généreuse.

Ils ont détruit l'Algérien avant de casser l'Algérie. Ils l'ont rendu adepte d'intérêts qu'ils ne cessent de le lui miroiter. Ils ont tué son intérieur, sa mémoire, sa raison et toute sa dialectique humaine. Ils ont réussi à faire du militantisme un mercenariat et de l'économie une science de rapine et d'esbroufe. Ce pouvoir-là avait exercé avec brio la théorie royaliste du makhzen : «Mange et tais-toi». Mais le peuple conscient de sa famine politique, alerte dans son authenticité, rebranché dans ses gènes s'est vu pousser à la limite de sa constance. Il dit son mot.

Le soulèvement, après deux décennies de torpeur, est venu comme un oracle divin fouetter la mauvaise croyance et l'enténèbrement des foules. Le peuple est debout maintenant. Pourvu qu'il persiste dans sa stature. Qu'il persiste à sauvegarder ses grands acquis, tout en soutenant ceux qui le soutiennent. Il ne suffit pas pour cela de tirer à vue sur des enceintes ou tenter de ruiner des tourelles vigilantes ou abattre les derniers patriotes encore en service. Encore moins rejeter la lueur d'un espoir démocratique par les urnes, de surcroît protégées par le pic des carabines nationalistes. L'Algérie appartient à tous les Algériens qui l'aiment et qui n'ont de ciel que le sien. Un seul drapeau, une seule armée, toute une multitude de cultures, d'épopées et d'histoires.