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LES AIGLES EN CARTON

par Abdou BENABBOU

Depuis quelques jours, les fortes secousses judiciaires sont bien ressenties. Les immenses points d'interrogation qui hantaient les Algériens se sont transformés en exclamations. L'accélération des comparutions devant les tribunaux bien que spectaculaire n'a en définitive rien d'une œuvre cinématographique contrairement aux suspicions murmurées ici et là. On ne fourgue pas une ruée de personnalités parmi lesquelles de hauts commis de l'Etat dans un panier à salade pour les besoins d'une représentation théâtrale quels qu'en soient les dividendes politiques. Et à bien évaluer la portée de la cascade des convocations des tribunaux, l'exercice s'avérerait contreproductif pour l'image de l'Etat. Que des chefs de gouvernement, des ministres, des walis et une ribambelle de nababs soient inquiétés officiellement par un procureur ne peut relever d'un simple exercice de parade. Les ondes de choc sont différemment perçues selon le poids des attentes et la lourdeur des pessimismes par une population qui à l'évidence n'en attendait pas tant.

Qui aurait pensé en effet il y a à peine un petit an que des fantasmatiques ombres comme Médiène, Saïd Bouteflika, Ouyahia, Sellal, hier encore mirifiques apôtres d'un pouvoir sans partage, allaient goûter aux couffins libérés par des prévôts et des bidets partagés et se familiariser avec les effluves des fientes qui donnent la nausée ?

En dehors de toutes les analyses politiques pointues ou celles de l'à-peu-près, la première résonance retenue serait à l'évidence une grande leçon de vie. Elle donne une magistrale claque aux arrogances et prétentions démesurées des hommes. Au-delà de l'immensité dévoilée de la tare qui dénude sans aucune précaution la perversité à peine croyable de ceux qui se sont accoutrés des habits mal ou bien taillés d'hommes d'Etat, c'est bien d'une des facettes humaines dont il s'agit surtout.

Des empereurs forts du droit de vie ou de mort hier sur plus de 40 millions d'Algériens et ayant encore le son des sirènes des cortèges officiels à l'oreille se retrouvent en un clin d'œil envoyés au cœur des orties. L'incarcération d'Ahmed Ouyahia, de Sellal et des autres, hier encore en réunion avec les grands de ce monde, dépasse la décision d'un juge qui n'est qu'un instrument du sort investi pour un moment de la synergie orientant les destinées.Talon d'Achille des humains ivres de fausses croyances, ils ne gardent plus les pieds sur terre et ne se rendent plus compte que la vie est une roue perverse qui tourne.

Cette spectaculaire mauvaise saga n'est pas nouvelle. Des aigles en carton à l'image d'Abdelmoumène Khalifa, aussitôt pris leur envol dans le ciel, sont redescendus pour devenir des rats piégés par la force des aléas imprévus de la vie. Cette redoutable et terrible machine encline à tordre les destinées doit être en permanence dans l'esprit de ceux qui ont la tendance de régir l'existence d'autrui.