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Merdaci, le salon du livre et ses droits d'entrée

par El Yazid Dib

Si elle n'était pas la progéniture d'un grand monsieur respectable, un concepteur d'œuvres et d'idées, si ce n'était son attachement passionnel à l'odeur de l'encre et du papier ou sa naissance dans les pages d'un livre, l'on aurait dit d'elle une néophyte, une parvenue ès matières.

Je ne l'évoque pas pour ses gaucheries orales lors de sa toute dernière exhibition hilare télévisuelle. Le propos est ailleurs. Madame la Ministre de la Culture, lit-on, pense installer des guichets de paiement à l'entrée du prochain salon international du livre. En plus des droits de stationnement, voilà que viendrait encore se greffer une autre dépense. Si cette décision venait à être exécutée, le coup ne se départira pas pour apporter l'estocade au taux du lectorat national. Déjà en deçà de la norme universelle et devant la précarité du réseau libraire, de la difficile bataille que mènent certains éditeurs en mal position, ce taux va faire situer dans les abysses le lecteur encore plus le visiteur, le curieux, le badaud ou le simple liseur de titres, le lécheur d'étals. Oui, ailleurs tous les salons de livres sont quasiment payants. Bref.

Le Salon d'Alger est d'abord une liberté d'expression. Il ne peut être un club privé. Il est une halte festive, didactique, instructive et populaire de masse. Une brèche annuelle venant dépoussiérer la léthargie lectorale et fertiliser le désert culturel ambiant. Une circonstance formidable dans la mesure où il participe à la médiatisation de la production littéraire nationale ou étrangère. Il tient à aider les maisons d'édition dans un travail supplémentaire de marketing qu'elles n'arrivent pas encore à maîtriser. Méditer neuf fois sur le sort du monde de l'édition et de son impact dont la ministre s'en trouve en parfaite connaissance de ses arcanes n'est pas une bagatelle de quelques droits ou la quête de savoir qui doit ou non s'acquitter d'un montant pour y rentrer. C'est un monde où se disputent l'art et l'intérêt, la gloire et le gain, le savoir et l'ignorance. Ainsi un amalgame vient chaque année pour s'instaurer dans l'idée génésiaque présidant à l'organisation d'une exposition commerciale. La culture, ses salons et toutes ses expressions ne sont qu'une question de service public. L'on n'aura jamais idée à le privatiser ou le mettre entre des mains qui n'en feront qu'un label de commerce. La culture par essence n'est pas oligarchique, car populaire. Un acquis révolutionnaire.

Une entité publique fonctionnant en mode Epic chargée exclusivement de l'organisation de spectacles, d'expositions, de manifestations, de festivals, etc. serait la symbiose du regroupement de toutes les autres entreprises, commissariats agissant dans leur ensemble dans le même registre d'activités. Il suffit d'une volonté culturellement politique et voilà qu'une et unique régie financière, organisationnelle, supervisionelle verra le jour mettant ainsi en désuétude tous les offices et les agences budgétivores. A creuser.

Le salon ne se voit pas seulement à travers ses beaux stands ou ses mauvais pavillons, il y a dedans des coins et des recoins. Derrière chaque livre il y un libraire qui cache un éditeur. Derrière chaque grand éditeur se cache une grosse machine d'imprimerie. Le plus gros de l'âme d'un livre ne devrait pas se situer dans le vacarme des rotatives toussant de jour comme de nuit, mais dans le fil romanesque qui l'anime. Le réseau de distribution ressemble étrangement à celui qui se pratique dans l'agro-alimentaire. Les retards de livraison, les crédits à la vente, le défaut de paiement, le retour d'invendus font la même scène que s'il s'agissait de pomme de terre ou parpaings bitumeux. Un travail de fond est à entreprendre.

C'est à une refondation radicale de la politique du livre que la ministre est patriotiquement sommée. Elle doit à cet effet développer un sens aigu dans la fédération de toutes les énergies disponibles dans la chaîne logistique et intellectuelle du livre. L'approche d'une bibliothèque dans chaque commune doit se décanter et faire enfin ses bilans. L'enracinement de la lecture dès le jeune âge doit faire le programme de mutualité entre l'éducation et la culture. Alors, si l'on compte réserver l'entrée du salon aux seuls invités spéciaux ou ceux munis d'un ticket payé à l'avance, tous les acquis de la révolution culturelle quoique menée cahin-caha feront l'objet d'un opuscule racontant les faits d'armes où il fut un temps où dans chaque wilaya y avait une foire dédiée au livre. Il était une fois le livre au service de la conscience politique. Son paternel, monsieur Merdaci en garde en toute évidence d'excellents relents. En plus cela ne fera qu'exacerber une rue déjà chauffée sur le plan politique et l'on verra peut-être les prémices de l'installation d'une culture de classe, celle qui ne fréquente pas les bouquinistes, qui ne s'agenouille pas dans le souk pour compulser passionnément un vieux livre jauni et froissé par l'effilement digital .

En l'état, je ne prends pas encore la ministre de son côté politique - y en à dire - ni en sa qualité de membre d'un gouvernement qui fait le canevas sonore de chaque vendredi. Je m'en tiens au livre, à son salon et à mon droit de citoyen d'y rentrer librement. Le droit à la culture n'est-il pas un droit constitutionnel ?