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Violences: En finir avec l'impunité

par Ghania Oukazi

La vidéo montrant un père frappant hargneusement sa fille et celle des élèves agressant une employée d'une école témoignent de l'existence d'un héritage de violence que les Algériens se transmettent de père en fils.

Aux images navrantes d'une jeune femme humiliée par des élèves sont, donc tout de suite, venues s'ajouter à d'autres tout aussi pénibles. Celles d'un père frappant cruellement sa fille encore enfant. L'acte n'est pas nouveau. Il est enraciné dans la société. Elle n'en a jamais fait cas, outre mesure.

Si cela peut consoler les esprits choqués, des scènes de soutien et de solidarité avec l'employée de l'école qui a été agressée par des élèves, dans la wilaya de Blida, défilent sur la toile. L'idéal aurait été que les parents des agresseurs demandent publiquement pardon à l'agressée et lancent un appel à tous les Algériens pour ne plus jamais laisser se produire des actes aussi abjects. Il n'en a été rien à ce jour.

Le pardon n'est pas une tradition nationale. Il n'est pas un critère moral pour exorciser le pays de ses mauvais esprits. Des verdicts du siècle dernier, l'on rappelle que le pouvoir politique avait refusé d'exiger des tueurs des années 90 de demander pardon à la nation.

C'était plus facile, pour lui, d'amnistier les bourreaux. Il n'a pas dérogé à la règle qui ne fait que confirmer la consécration historique de l'impunité comme ordre politico-social d'une Algérie - qu'elle soit colonisée ou indépendante - qui s'est toujours accommodée de la violence. Dans la cellule familiale, à l'école, dans la rue, sur les lieux de travail, dans les stades, en bord de mer en saison estivale, les agressions verbales et physiques font partie du décor national. La violence est exprimée sous toutes ses formes. Elle l'est depuis la nuit des temps. Elle est un héritage que les Algériens se transmettent de père en fils

Le délit de l'impunité

Les trains caillassés par de jeunes adolescents, la mort de cheminots causée par des jets de pierre d'enfant qui en font un moyen de détente et d'amusement au vu et au su de leurs parents et de leur voisinage, glacent les consciences. Fléau récurrent depuis toujours, le jet de pierres au passage de trains, provoque juste, de temps en temps, un débrayage des cheminots.

La réaction est insignifiante face à une situation dramatique. Pourtant, les tronçons où les enfants lancent des pierres sont connus.

Il suffit de passer les quartiers au crible, convoquer les parents, leur faire payer de lourdes amendes conséquentes aux dégâts matériels causés, mettre les enfants face à leurs délits, déposer plainte contre X, contre le laisser- aller, la non-dénonciation, la complicité...

Les moyens de lutte contre ces agissements monstrueux ne manquent pas. Sacrifiée sur l'autel d'une politique de sécurité indigente, la garde communale aurait pu être transformée en police communale pour contribuer à la sécurisation de cités où les agressions sont légion.

Le pouvoir politique a préféré la transformer en une force de contestation plutôt que de service public. « Cette nuit, un peu avant 1h du matin, un défilé monstre de voitures et concert de klaxons assourdissant jusque très tard, a brusquement réveillé les riverains de la Grande Poste, » nous faisait savoir, hier, un habitant de la capitale. « C'était pour fêter la victoire de l'USMA (...) auxquels s'étaient joints les supporters du Mouloudia, » a-t-il dit en précisant que « c'est la première fois, depuis le 22 février, qu'il y a, à la Grande Poste, une manifestation pour autre chose que le «dégagisme». « Si la scène n'est qu'une liesse de jeunes vantant les performances de leurs clubs sportifs, elle est surtout un des nombreux passe-droits que les citoyens s'arrogent en toute impunité. Les Algériens refusent de croire qu'exprimer leur joie, bruyamment, à des heures indues de la nuit est puni par la loi. Les klaxons sont une pollution sonore et le bruit est défini comme étant, entre autres, « un ensemble de perturbations de toute nature et de toute origine.»

«Affreux, sales et méchants»

En Algérie, le bruit est partie intégrante d'un ensemble d'éléments constituant un environnement national sale, délabré et insolent. Rares sont les secteurs ou quartiers qui dérogent à cette règle. Les nombreux cortèges nuptiaux et leurs lots de feux d'artifices les traversent bien tard dans la nuit.

Le profil et le portrait de la violence n'ont jamais été dressés spécifiquement tant ils sont communs et leurs traits sont partagés par la majorité des citoyens à l'échelle nationale. Le mal est profond jusqu'à se mêler à la génétique.

Incurable, il ne l'est pas si des thérapies sont prescrites aux mentalités et les délits de violence sont punis par la loi. Les pouvoirs publics devront réagir fermement contre tout abus violent, de tout type, de tout genre et dans tous les espaces.

Actionnée pour enquêter sur des faits de corruption et emprisonner des responsables qui faisaient la pluie et le beau temps, il y a à peine quelques mois, l'autorité judiciaire devrait être, aussi, rapide pour réagir et punir tout acte de violence quel qu'il soit.

Le Tribunal correctionnel doit avoir compétence pour s'auto-saisir et condamner la violence aussi infime soit-elle. Et l'impunité ne peut être bannie que si la loi la décrète comme délit ou infraction à l'évolution positive de la société et la punit en tant que telle.

La décision d'hier de l'Institution nationale de la protection des droits de l'enfant, d'ester en justice le père qui a frappé sa fille réchauffe les cœurs. Il faut qu'elle augure d'une ère nouvelle de justice, de droit, de responsabilité, d'éthique et de morale. L'évolution de la société algérienne en dépend profondément et très largement.