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Huitième vendredi de mobilisation: «Viva l'Algérie, yatenahaw gaâ»

par M.A., H.B. Et A.Z.

En dépit du déploiement d'un important dispositif sécuritaire, qualifié par les citoyens de dispositif «de guerre», des millions de manifestants ont envahi les artères des grandes villes du pays pour réclamer le départ du président par intérim Abdelkader Bensalah, le gouvernement Bedoui et Tayeb Belaïz ainsi que Mouad Boucharb.

Il faut noter qu'un dispositif de sécurité spécial a été mis en place à la veille de ce 8ème vendredi de protestation pour filtrer les accès menant vers Alger. Des barrages ont été dressés par les services de la Gendarmerie nationale à l'entrée Est de la capitale à Boudouaou et à Dar El Beïda et d'autres barrages du côté ouest d'Alger, plus particulièrement à Baba Ali, où la circulation routière a été sérieusement perturbée. Mais, les dispositifs de dissuasion pour empêcher les manifestants d'autres wilayas de se rendre dans leur capitale ont fait sortir la grande majorité des Algérois de chez eux pour crier haut et fort «Et... Viva l'Algérie, yatenahaw gaâ».

Les grandes placettes, entre autres la place du 1er Mai, la Grande Poste d'Alger et la place Maurice Audin, étaient toutes occupées tôt le matin par les forces de la police anti-émeute. C'est la première fois que la capitale connaît un tel dispositif sécuritaire depuis le 22 février dernier.

Mais tout cela n'a pas empêché des milliers voire des millions de protestataires de se rendre à Alger, dont certains ont passé la nuit à la belle étoile, d'autres à l'intérieur de leurs véhicules, pour occuper très tôt le matin l'esplanade de la Grande Poste d'Alger, devenue lieu de protestation et de débats ouvert aux citoyens, notamment pour la construction d'un Etat libre et démocratique. Les manifestants scandaient tous ensemble «Système dégage», «Bensalah dégage», «Bedoui dégage», «Vous avez pillé le pays, bande de voleurs», «Djazaïr horra démocratia», «Le peuple est éduqué, l'Etat est traitre».

Certains manifestants ont tenté de convaincre la police qu'ils manifestent «contre le gang qui a pris en otage les millions d'Algériens et l'Algérie, et non pas contre les institutions de l'Etat ou contre les services de sécurité», en scandant «l'armée, le police, le peuple des frères».

Les larmes aux yeux, certains ont demandé pacifiquement aux policiers ayant encerclé la Grande Poste d'Alger «d'arrêter de soutenir le pouvoir et de s'allier au peuple contre ce système mafieux». «Nous n'avons rien contre vous, vous êtes nos frères» lance un manifestant. «Nous sommes là pour une Algérie plurielle qui défend les droits du peuple et les droits des policiers», ajoute-t-il. Entourées par une foule immense les forces de la police anti-émeute ont commencé à se retirer de la Grande Poste vers les coups de 11h15, sous les applaudissements des manifestants qui scandaient encore une fois «la police, chaab, khawa khawa».

Une minute de silence a été observée par les manifestants à midi, à la place Audin, à la mémoire des 247 jeunes militaires et les membres de leurs familles, morts dans un avion militaire algérien qui s'est écrasé le 11 avril 2018.

A 14 heures après la prière du vendredi, c'était une marée humaine qui a déferlé sur les principales artères de la capitale du Premier Mai jusqu'à la Grande Poste d'Alger. Bien que les manifestants étaient pacifiques et des jeunes volontaires veillaient à empêcher toute forme de dépassement, en essayant de convaincre les protestataires «que la marche doit être silmiya», mais à la grande surprise de tout le monde, la police a fini par intervenir, à la place Audin et au sein du tunnel des facultés en usant de gaz lacrymogène et de canon à eau, notamment à l'entrée du boulevard Mohamed V, ce qui a entraîné une bousculade au niveau du tunnel des facultés, selon certaines sources.

Des blessés ont été enregistrés dans les rangs des manifestants et des policiers, des ambulances de la protection civile se sont vite dirigées vers le tunnel des facultés pour porter secours aux blessés dont certains se sont évanouies pendant la bousculade au sein du tunnel. Les manifestants scandaient «Pouvoir assassin», «Arrêtez la provocation».

«Silmiya, silmiya»

A Oran, la rue a encore grondé son fameux «Yetnahou ga3» (qu'ils dégagent tous). Le peuple a une fois de plus dit son mot et Abdelkader Bensalah est plus que jamais «persona non grata».

Lui, au même titre que les figures symbolisant le «régime corrompu» désignées, pour certains, nommément à l'instar de Bedoui ou encore Belaïz. Comme ses prédécesseurs, ce huitième vendredi de contestation populaire a été un exemple de civisme et de pacifisme, rythmé par son indémodable hymne, devenu au fil des semaines son leitmotiv et sa marque de fabrique : «Silmya, silmya...» (pacifique, pacifique...). Métaphore de leur engagement citoyen à nettoyer le pays de tous «les voleurs de l'argent public», une «armée» de bénévoles s'est attelée dès les premiers instants de la marche à ramasser toutes sortes de déchets jonchant la voie publique. Sacs-poubelles accrochés à leurs ceintures, jeunes hommes et femmes ont, en effet, sillonné les trottoirs de la ville pour ramasser bouteilles en plastique, bouts de papier et mégots. Reconnaissables à leurs brassards verts, ces citoyens, amis de la nature, ont mérité le respect que leur ont exprimé aussi bien leurs compagnons de marche que les habitants des immeubles de la rue Larbi Ben M'hidi au centre-ville, dont certaines vieilles dames, du haut de leurs balcons, n'ont pas omis de leur exprimer toute leur gratitude en leur jetant des bonbons.

Les premiers cortèges de manifestants ont commencé à affluer vers la rue Larbi Ben M'hidi au centre-ville dès la fin de la prière du vendredi. Et comme à leur habitude, ils se sont regroupés tout d'abord à la place du 1er Novembre (place d'Armes) avant d'entamer leur procession qui les mènera au rond-point du pont «Ahmed Zabana» en passant par Miramar avant de faire le chemin retour par le boulevard de l'ALN (Front de mer) et revenir à la place du 1er Novembre. Côté slogan, la rue s'est adaptée à l'évolution des évènements politiques. Si le chant «Jich, chaab, khawa khawa» est toujours de rigueur, d'autres n'ont pas omis de rappeler à Gaïd Salah ses engagements avec l'article 07, celui qui consacre la souveraineté du peuple. D'autres slogans sont par ailleurs plus explicites en évoquant cette souveraineté : «Non aux solutions dictées par l'étranger. Oui aux solutions nationales.»

A Constantine, la réponse de la rue en ce 8e vendredi de la manifestation est sans équivoque : «tarahlou gaâ, yaâni tarahlou gaâ» (dégagez tous, cela veut dire dégagez tous). Pour le 8e vendredi consécutif, donc, les manifestants sont restés mobilisés autour d'un mot d'ordre unifié, en l'occurrence «système dégage», lequel mot d'ordre est devenu un slogan principal de la manifestation dans le sillage de l'installation du président d'Etat, Abdelkader Bensalah, suivie par la convocation du corps électoral pour l'élection présidentielle. Aucun fléchissement de la volonté populaire qui insiste sur le changement des anciennes figures du système, exigeant le départ des 4B. Sur une large banderole portée par des manifestants, on peut voir les 4 portraits des 4B, Bensalah, Bedoui, Belaïz et Bouchareb, frappés d'une croix rouge.

Drapeaux au vent et drapés de l'emblème national, les manifestants ont crié leur soif de liberté, de démocratie et de justice, tout en dénonçant les voleurs qui ont dépouillé le pays (klitou labled ya sarakine). Les milliers de citoyens qui, comme à l'habitude, ont afflué de tous les quartiers vers le centre-ville pour participer à cette 8e marche, ont résolument décidé d'en finir avec «le système politique basé sur la fraude», pouvait-on lire sur de larges banderoles.

Notons que la manifestation qui s'est déroulée d'une manière pacifique, a également gagné en organisation, avec des carrés séparés pour éviter toute pagaille, ainsi que dans le mouvement des manifestants, réglé par de brèves haltes, avant de reprendre la marche.