Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

Les «hommes» du ministre

par El Yazid Dib

Le «Hirak» ne doit pas s'arrêter juste aux têtes des départements gouvernementaux. Il se doit de rentrer dedans. Dans ces bureaux, ces cabinets qui soufflent insidieusement le chaud et le froid. C'est dire que toutes les libertés octroyées ne suffisent plus, tant celles voulues et réclamées demeurent, quand bien même otages d'une éthique et d'une moralité humaine. Je ne vais pas parler d'Ouyahia qui est parti par un destin inachevé, ni de Bedoui qui vient d'avoir le même épouvantable destin ou leurs semblables, ni encore disserter sur cette sournoiserie qui fait placer certaines ombres pernicieuses, d'autres esprits obscurcis au sein des sphères qu'ils pilotent. Mais il y aussi ceux qui leur servent de pylônes. Ainsi à chaque laudateur, il y un autre laudateur, à chaque maître un maître.

Il arrive souvent, pour cause de maintien, de faire assurer par quelqu'un la tâche, de sa propre survie. Seulement, il y a certains qui se plaisent dans cette posture et se voient eux-mêmes détenteurs de toute autorité. Qu'ils soient minimes ou minuscules personnages. Cette image de voir de veules corps, manquant de gabarit tentant vaille que vaille de supporter un costume non taillé pour leurs frêles épaules est déjà le premier acte d'accusation d'une insouciance de la chose publique. Dans ce registre-là, le copinage, l'amitié commune et le croisement de liaisons influentes font que si l'on délègue aveuglément ses pouvoirs l'on finira par se voir prisonnier d'un système intérieur. Un ministre est un ministre, les autres ne doivent pas être des bis-ministres.

Si le parrainage existe un peu partout, ailleurs ou dans les rouages de l'Etat, l'on n'ose pas pour autant distinguer les parrains des parrainés. Tout s'enchevêtre. Ainsi, il ne s'agit plus de complaisance corporatiste plus qu'il ne s'agit de déficience dans la mise en place d'hommes déterminants et ès qualités. Quand un p'tit «chef de daïra» blême et impertinent se targue de la fonction de chef d'affaires réservées et se commute à son ministre, il ne reste aux vrais méritants du poste qu'à abandonner leurs carrières et aller s'inscrire comme futurs opposants. Quand il croit être un immeuble à grande hauteur alors qu'il n'est qu'un p'tit rez-de-chaussée à peine sorti d'un demi-sous-sol, il est temps de lancer des youyous républicains et des one, two, tree viva l'Algérie !

Ils ne sont pas nombreux ces traditionnels fonctionnaires, produit artisanal d'une administration révolue qui, malgré l'ère numérique ou la révolution biométrique déjà révolue, sont toujours là à officier, le plus souvent à un palier supérieur de l'Etat, d'un esprit de kaid ou de bachagha, mal en point de surcroît. Il est de ceux-là qui, pris par le zèle enivrant du fauteuil glissant, pensent retenir toutes les affaires publiques dans un cabinet et tous les arts de la rédaction dans la beauté d'un papier de bureau. Ils s'érigent en pierre angulaire, ils sont le verbe des ministres.

L'administration gagnerait à se voir dotée, notamment dans ses étages supérieurs et conséquemment à la modernisation du service public, de jeunes forces de propositions et d'innovation et non pas de vieux esprits encore fonctionnant à l'heure mécanographique. Faux dévots, égrenant des chapelets, s'habillant de religiosité au lieu de se faire habiter par la contenance, l'ouverture et l'affabilité : ils doivent renouveler leurs multiples ablutions et se refaire tout un rituel de omra. C'est dans la foi de l'administré qui se morfond à voir ce mauvais monde public que s'inspire l'amertume nationale. C'est un peu à cause de certains esprits de cette espèce agissant derrière les rideaux que la rue gronde, que le grand monde silencieux qui forme l'armée du fonctionnariat accumule les déboires et boit le dégoût.

C'est ainsi que l'amplitude d'un ministre se perd en ces conjectures de chercher à savoir qui de l'un dirige l'autre. Parfois, un ministre égare ses repères, son autonomie, ses sentences à cause de ceux qu'il promeut ou de ceux qui lui sont imposés. Le premier parmi les premiers tente de l'apprivoiser par la disjonction de contact, le second parmi les seconds s'efforce de le supplanter par le trafic d'influence et le poids de son tuteur. Les deux s'emploient à s'entre-déchirer pour se l'approprier. Une course exagérée vers sa possession. D'où la naissance de cette pauvre fournée sous ministérielle qui avait produit des ministres qui n'ont d'écoute exclusive que la parole dissuasive qui s'installe à leurs flancs immédiats au moment où il y a dans leur autre proximité une multitude d'âmes discrètes qui triment et crapahutent sans qu'il n'y ait de regard considérant à leur égard.