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«The wall», chanté par les Algériens

par Moncef Wafi

De toutes les traditions des moines Zen, les Algériens n'en ont retenu qu'une. S'asseoir devant un rocher et se convaincre qu'il va changer. «Maintenant, je vais attendre que ce rocher grandisse», pensent les moines dans leurs séances de méditation. La comparaison s'arrête là, et loin des secrets originaux de la méditation transcendantale, l'Algérien s'entête, pourtant, chaque jour qui passe, debout, assis en tailleur, seul ou parmi la foule, silencieux ou frappé par une inutile loquacité, à se mettre face à un mur en disant qu'il va tomber. Il va s'écrouler de lui-même, vaincu par le temps et l'érosion, mangé de l'intérieur par un ciment douteux, rongé par le fer à béton de Tchernobyl et affaibli par les vents et les tempêtes.

Chaque jour, ils se lèvent, confiants dans leur bonne étoile, se congratulant, poussant des cris de joie et se promettant des lendemains meilleurs. Ils courent jusqu'au mur, portés par l'espoir que le mur se soit affaissé, la nuit. Mais, comme chaque matin, depuis des années et des années, ils se rendent compte qu'il est toujours-là, à sa place, entouré de ses maçons qui veillent sur lui. Imposant, se régénérant presque, à chaque fois, en voyant le peuple se prosterner à ses pieds, le mur, dont les fondations sont solidement enracinées à l'histoire du pays, tourne le dos au peuple, dans une indifférence toute constitutionnelle, pour mieux les narguer. Parfois, le matin, des citoyens, excédés par cette immortalité murale, se révoltent en cherchant à le renverser. Coups de pieds, de poings et de pioches pour les plus radicaux, les tentatives échouent, cependant, à son pied, défendu par une armée de manœuvres dirigés par un contingent de maçons et encadré par des architectes tri-nationaux. Mais les actions éparses, disparates et non coordonnées conduisent ces révoltes devant un mur. Parfois, aussi, des rumeurs sur un démantèlement de certains pans du mur se font entendre, la nuit, dans les rues de l'Algérie, des bruits insistants de truelles et de mortier et des chuchotements sur la colère sourde des maçons. Alors, au petit matin, accourant sur le lieu de son implantation, le peuple retrouve le même mur, un peu plus triste, davantage lézardé, mais toujours campé sur ses positions. Aux lendemains de ces nuits difficiles, les architectes distribuent quelques briques et pots de ciment pour calmer l'ébullition sociale.

A force de se réveiller, chaque matin, et de se convaincre, avant de dormir, que le mur allait tomber, le pays finit peu à peu à s'habituer à son ombre, à vivre sous son ombre alors qu'il suffit d'un simple coup d'œil derrière le mur pour se rendre compte qu'il ne tient debout que grâce à quelques madriers qui le soutiennent et qu'il suffit d'un bon coup d'épaule de tout un peuple réuni pour, enfin, qu'il tombe et ensevelisse ses maçons et architectes. Depuis le 22 février, le mur commence à s'effriter, menaçant sérieusement de s'effondrer et d'emporter tout dans sa chute.