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Bedoui à côté de la plaque... du peuple

par El Yazid Dib

C'est ce qu'il s'est dit après sa première conférence de presse en tant que Premier ministre. Il aurait ainsi raté son baptême médiatique. Pour une question de timing, faillait-il la faire à la veille d'un vendredi tout aussi chaud que ceux qui l'ont précédé ? Etait-ce justement pour tempérer les engagements populaires de ce dit vendredi, atténuer les tensions et décompresser le climat du lendemain ? Du coup c'est encore raté. C'est tout aussi simple, si l'on s'enorgueillit d'aller s'installer dans une république nouvelle, cela recommanderait également de détruire la mentalité communicative d'hier, de brûler la langue de bois et de ne brandir que le verbe de vérité ni plus ni moins.

L'on n'est pas en phase de s'adresser à un panel de fonctionnaires, il s'agit là d'un peuple pluriel et diversifié qui possède ses propres codes de déchiffrement. Alors ? Aucune réponse n'était appropriée à la question, l'esquive prenait beaucoup de place.

Par ailleurs, une conférence de ce type-là, croyant de surcroît amorcer une nouvelle façon de communiquer, aurait atteint cet objectif si elle était gérée professionnellement par un modérateur. Cassant le sacerdoce du personnage autoritaire, c'est lui qui parle, c'est lui qui donne la parole ou la refuse et c'est lui qui répond. Autre fausse note dans le tableau, la présence inappropriée de Lamamra que ni son ex-jovialité déjà flétrie, ni son poste aux Affaires étrangères n'arrivent à la justifier. Un élément semblant décorer une crédibilité manquant dans l'image ou une preuve physique d'une rivalité Premier-ministérielle.

La déclaration liminaire enfournée dans une lourde introduction convenait beaucoup à une lecture de lettre comme émanant du Président. Le style et la connotation y étaient grandement. Les yeux de l'orateur indiquaient timidement un malaise, quand le nœud de gorge inoculait une pression intérieure.

Bedoui n'était pas à son aise habituelle. On le sentait, disent certains, qu'il donnait l'air d'être mis dans le broyeur d'une terrible épreuve, faute de pouvoir répondre clairement à des choses qui lui échapperaient. Le déficit d'assurance en soi est le pire mal de la communication. Ses mots étaient dans l'ensemble formulés d'une seule terminologie. Le peuple, les valeurs, l'histoire, la stabilité et sans doute les «défis» (tahadiyet) et les «enjeux» (errihanet). Il disait se disposer à «offrir et recevoir l'écoute, l'ouverture et la concertation avec tous sans exclusive». Qui sont ces «tous» ? Le FIS en fait-il partie ? Les bannis, les exilés ou refugiés politiques, les opposants silencieux et tranquilles, les ex-ministres et cadres supérieurs congédiés, les non inscrits dans la sainteté du pouvoir, les apostasiés du régime sont-ils admis sur les bancs de ce consensus annoncé ?

Une conférence de presse de ce niveau était censée expliquer des choses et commenter des faits et non pas espérer des choses, lancer des serments et défendre des positions. Si le but était de convaincre de la nécessité qu'exigerait toute transition, le conférencier aurait gagné à dévoiler ce qui est déjà préparé à un haut palier décisionnel au sujet de la feuille de route et de tous les types de plans retenus. Ainsi le peuple, ce générique trop rabâché et ressassé au fil des réponses, saura éviter ou non le vendredi prochain et tous les futurs vendredis. Sinon chaque vendredi aura sa concession. Un demi-jeu, pouvoir / peuple quoi.

C'est vrai que les institutions doivent continuer à fonctionner, c'est vrai qu'en aucun cas l'Etat ne doit s'effondrer, que la sécurité doit encore régner et c'est cette raison de survie et de sauvegarde de la république qui incite le «pouvoir transitoire» dont jouirait Bedoui à lui faire oublier son agenda personnel, mettre de côté ses amours et ses animosités pour la nomination de son équipe et s'ouvrir à un répertoire national des compétences. L'époque du n'importe qui est wali doit finir. Il brosse cependant un canevas gouvernemental composé de jeunes et de technocrates. Merveilleux. Sauf que le rappel éventuel dans le gouvernement de walis n'aura rien de technocratie et ne fera qu'exacerber la situation. La différence entre un technicien et un technocrate est immense. Nous y reviendrons.

Enfin cette communication comme premier acte d'une transition n'est pas de nature à faire taire les gosiers. Bien plus, elle hypothèque l'espoir que l'on veut recréer. Comme l'on change de costume par rapport à un nouveau profil, l'on doit repenser son expression et réinventer son vocabulaire. Sellal faisait rire, Ouyahia faisait braire, Bedoui se fait peur.